Dans un entretien accordé au Monde le 27 décembre dernier, Emmanuel Todd avait vivement dénoncé la campagne « identitaire » menée à l’instigation de l’Elysée contre les immigrés, les musulmans et les porteuses de burqa.

Sur mon blog (1), j’avais chaleureusement remercié Emmanuel Todd et prolongé mon propos en posant l’hypothèse de l’émergence d’une nouvelle forme de fascisme. Je m’appuyais sur une communication de Robert Paxton (2) qui évoquait un « système d’autorité et d’encadrement » qui serait « pieux et antinoirs » aux Etats-Unis, « laïque et antisémite, voire antimusulman » en Europe occidentale. De fait, les sarkozistes ne seraient-ils pas en train de bricoler une idéologie « identitaire » laïque et antimusulmane susceptible de rallier l’extrême droite raciste, la droite xénophobe et une gauche laïciste qui est énervée par les diverses manifestations de la religion musulmane ?

L’hypothèse m’était personnelle et il m’a semblé nécessaire de la présenter lors d’un de ces Mercredis où se retrouvent les héritiers de plusieurs traditions politiques et des chercheurs de diverses disciplines – ainsi Monique Pinçon-Charlot et Jean Pinçon venus le 20 janvier participer à la discussion (3). Très riche, celle-ci mériterait d’être intégralement publiée. Je ne peux en retenir ici que les conclusions :

Le fascisme reste associé, dans l’imaginaire collectif, au folklore sinistre des uniformes, bannières et parades, à la violence des bandes armées, aux camps de concentration : toute référence à cette idéologie, même assortie d’explications sur ses manifestations mutantes, est et restera marquée par ces souvenirs. N’embrouillons pas les esprits !

Surtout, le fascisme est un mode de pensée et d’organisation totalitaire. Il est vrai que Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi n’ont rien de ces guides charismatiques qui fascinaient des foules et les rassemblaient en vue de l’affrontement armé contre l’ennemi intérieur puis contre l’ennemi extérieur. L’UMP n’est pas la matrice d’un parti fanatisé ; l’idéologie dominante est le Marché, non le nationalisme car « l’identité nationale » est utilisée comme leurre.

Si l’évocation d’un nouveau fascisme est à éviter, quelle est la nature de la menace ? Nous sommes tombés d’accord pour privilégier une analyse en termes de lutte des classes et même « guerre des classes » pour reprendre les mots employés par Warren Buffet : « La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la gagner ». Comme la plupart de leurs concitoyens, les royalistes n’ont pas voulu cette guerre. Elle n’est pas le moteur de l’Histoire mais elle représente une agression caractérisée de ceux qui ont le pouvoir et l’argent contre les salariés, les exploitants agricoles, les retraités…

Dans les circonstances très particulières que nous connaissons (inexistence de l’opposition de gauche, faible résistance syndicale, sclérose de l’extrême-gauche) nous sommes confrontés à une classe sociale effectivement mobilisée. Elle a conquis l’Etat, elle dispose de la puissance économique et financière, elle a coupé toute relation avec le peuple français et avec la nation française. Nous avons été les premiers à définir cette classe dominante comme une oligarchie. La déroute de l’ultralibéralisme ne l’impressionne pas car l’idéologie n’est pour elle qu’un instrument parmi d’autres. Elle garde intact son pouvoir d’intimidation et de manipulation grâce aux usages qu’elle fait de la télévision. Elle a montré qu’elle pouvait effacer un référendum et ne fait aucun cas du suffrage universel depuis 1983 : élu sur un discours à tonalité gaulliste en 2007, Nicolas Sarkozy fait la politique que ferait un Dominique Strauss-Kahn élu en 2012 sur un discours à tonalité socialiste. Elle n’a pas besoin d’un fascisme pour dominer puisque, pour le moment, aucune force organisée ne fait obstacle à sa volonté de toute-puissance.

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(1) cf. la chronique 18 : « Merci, Emmanuel Todd ! » sur mon blog bertrand-renouvin.fr

(2) XVIème Conférence Marc Bloch organisée par l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Extraits dans « Le Monde » du 17 juin 1994, page 2. Cf. mon article publié dans « Royaliste » en 2007 : « Vers le fascisme ? » et reproduit sur mon blog.

(3) cf. Monique Pinçon-Charlot, Jean Pinçon, Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte, 2000.

 

Editorial du numéro 963 de « Royaliste » – 8 février 2010

 

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