Est-ce toujours l’inattendu qui arrive ? Je ne sais, mais la maxime, qui incite à la prudence des analyses et des stratégies, s’applique tout à fait aux institutions de la Vème République. Depuis bientôt trente ans, que de sombres prédictions, toujours démenties par les faits, que d’analyses impeccables mais fausses en tous points ! Cette Constitution « bonapartiste » est celle qui a le mieux garanti la démocratie. Ce général « de guerre civile » a réussi, pour la première fois depuis la Révolution, à obtenir une très large adhésion aux principes constitutionnels. Ce régime, dont on a tant répété qu’il ne pouvait pas survivre au départ de son fondateur, a non seulement tenu mais continue de dérouler des conséquences souvent positives, et surprenantes.

PEDAGOGIE

Que ne disait-on pas, il y a quelques mois, sur la « cohabitation » ! Que de déclarations, que d’articles, émanant de la droite barriste et de la gauche antique, tendant à démontrer son impossibilité juridique et pratique… Je me souviens d’un débat organisé l’hiver dernier par la Fondation nationale des Sciences politiques, au cours duquel d’éminents spécialistes avaient démontré, avec des arguments imparables, qu’aucune coexistence ne pouvait être envisagée dans le domaine de la politique étrangère. Quelques semaines ont suffi pour établir la fausseté de telles analyses. Le président de la République a échappé au dilemme entre la soumission et la démission, le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » n’a pas été interrompu, la France continue de parler d’une seule voix, et la crise politique, présentée comme une fatalité, est devenue une menace qui pèse sur les deux têtes du pouvoir exécutif. L’affrontement est aujourd’hui un pari risqué, contraire au principe de la légitimité démocratique et aux dispositions constitutionnelles, et celui qui ne respecterait pas les règles du jeu s’exposerait à un cinglant désaveu. Comme toute bonne constitution, la nôtre a valeur pédagogique pour les hommes qui la vivent et l’appliquent : elle les incite ou les contraint, selon les cas, à dépasser les passions personnelles et idéologiques ainsi que leurs intérêts immédiats.

Cette pédagogie constitutionnelle ne vaut pas seulement pour les chefs d’Etat et de gouvernement. Il ne fait pas de doute aujourd’hui que les institutions gaulliennes ont peu à peu développé chez les Français le désir d’une légitimité, le souci de la continuité, de l’arbitrage et de l’unité. En mars 1986, le succès relatif de Jacques Chirac, la non-défaite des socialistes et la déconvenue de Raymond Barre avait montré que le sentiment « légitimiste » prévalait à droite comme à gauche. La popularité actuelle du président de la République, que personne n’envisageait au printemps, s’explique par l’attachement des Français à l’idée d’un arbitrage que François Mitterrand a jusqu’à présent fort bien assumé. Il faut aussi souligner que l’opinion publique tend à distinguer de plus en plus nettement le gouvernement et les formations politiques, le chef de l’Etat et ses partisans. Avant les élections législatives, la popularité des principaux ministres du gouvernement Fabius contrastait fortement avec la mauvaise image du Parti socialiste. Les derniers sondages publiés montrent maintenant que beaucoup de citoyens font des choix différents selon qu’il s’agit de désigner un président ou des députés.

Une révolution des mentalités est en train de s’accomplir, qui modifiera en profondeur les données du jeu politicien. Elle est pour nous un motif de satisfaction puisque nous avons toujours tenu, dans nos analyses et dans nos choix électoraux, à marquer les distinctions citées plus haut: le soutien à François Mitterrand n’implique pas l’alignement sur le Parti socialiste, ni l’inscription à gauche… Ce qui semblait hier relever d’un byzantinisme inacceptable ou d’une inconséquence est en passe de devenir une banalité. Tant mieux.

OBSTACLES

Ces considérations réconfortantes signifient-elles que la question politique est réglée pour l’essentiel dans notre pays ? Certes non. Les partis de droite et de gauche n’existent que dans la rivalité et souhaitent par conséquent un affrontement net autour d’un pouvoir considéré comme un bloc pyramidal. Il leur faut la présidence, le gouvernement et la majorité de l’Assemblée, ou bien la préparation de la revanche par une opposition pure et dure. Décalés par rapport à l’opinion publique, ils n’en sont pas moins capables de retarder l’évolution prévisible. Aussi, toute question d’étiquette mise à part, le conflit des prochaines années aura lieu entre le souci de légitimité de ceux qui auront saisi l’esprit des institutions et la volonté de puissance des appareils politiciens. D’autre part, les institutions actuelles n’éliminent ni le paradoxe de la situation présidentielle (l’élu d’un parti ou d’un camp ne peut jamais devenir l’homme de toute la nation) ni la rivalité entre le Président et le Premier ministre, ce dernier étant toujours un « assassin » en puissance du chef de l’Etat même s’il porte les mêmes couleurs politiques.

Face à ces trois obstacles majeurs à un désir de légitimité, de continuité, d’arbitrage et d’unité qui se généralise, il est nécessaire de conduire à son terme la logique qui est à l’œuvre depuis 1958. Nous avons souvent montré son caractère monarchique, qui se manifeste aujourd’hui de façon implicite. De fait, une monarchie pleine et entière permettrait de clarifier le rôle du chef de l’Etat tout en lui assurant une légitimité plus solide, de préciser les fonctions respectives des deux responsables de l’exécutif en éliminant les causes principales de conflits, de rétablir le Parlement dans son rôle et de sauver les partis que la course à la présidentielle est en train de détruire. L’actualité aidant, c’est ce que nous tenterons de démontrer dans les mois qui viennent.

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Editorial du numéro 454 de « Royaliste » – 17 septembre 1986

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