Quand la sinistre période que nous vivons aura pris fin, quand les passions se seront apaisées, il serait bon pour la réflexion collective qu’Emmanuel Macron devienne un cas d’école.

L’élu de 2017 et 2022 a très exactement fait tout ce qu’il ne fallait pas faire dans l’exercice de son éminente fonction. Il a voulu pousser sa singularité au-delà de ses attributions, faisant ou laissant dire que l’homme qui ne dormait que quatre heures par nuit parvenait à maîtriser tous les sujets grâce à son intelligence exceptionnelle. Il nous en offrait d’ailleurs la démonstration, éblouissante au sens premier du terme, lors de ses prestations télévisées et de ses sorties “sur le terrain” balisé par les compagnies de CRS, parvenant à se dépasser lui-même lors de la tournée du « grand débat ». Capable de jouer tous les rôles – du général en chef, du copain des clowns médiatiques, du technicien de la disruption, du penseur de l’Europe nouvelle…, il a manqué l’essentiel de sa tâche.

Pourquoi ? Emmanuel Macron s’est voulu à l’extrême pointe de la modernité et il s’est laissé prendre à toutes ses illusions. Illusion de la compétence, qui est le propre des techniciens, alors que les politiques savent que la décision éclairée procède de la culture générale. Illusion de la communication, censée faire passer tous les messages et avaler toutes les pilules, alors qu’une critique radicale en a été faite il y a plus de trente ans. Illusion du spectacle que l’on donne de soi-même, comme si les citoyens étaient voués à demeurer dans la duperie. Illusions du néolibéralisme et de l’Europe réduite aux dimensions de l’Union européenne.

Toutes ces illusions viennent de loin. Depuis une vingtaine d’années, elles ont contribué à ruiner la fonction présidentielle, dans un climat général de désacralisation, de crise de l’autorité et de mise à bas des “tabous”. On a joué et surjoué la familiarité, voire la grossièreté, la présence sans façons sur le terrain, la juvénilité sportive. On s’est mêlé de tout et de n’importe quoi, dans la logique des promesses de campagne. Tout présidentiable sérieux se pose en réformateur de grande envergure tout en multipliant les annonces de cadeaux destinés aux clientèles du cœur de cible. Dans un article d’avril 2017, Gaël Brustier expliquait déjà que l’élection présidentielle ne désignait plus une figure monarchique mais un “faiseur de pluie”, “une sorte de guérisseur hyper-médiatisé et impuissant”.

L’impuissance. Telle est l’effet sidérant de la mécanique infernale du quinquennat, qui pousse le président de la République à se comporter comme un Premier ministre essayant de mettre en œuvre quelques éléments d’un programme de campagne impossible à réaliser. Pris par le temps en raison de l’accélération du rythme électoral et de la pression des instituts de sondages qui anticipent la future présidentielle, le super-Premier ministre s’aperçoit ou fait semblant de s’apercevoir qu’il ne peut pas grand-chose en raison des abandons de souveraineté consentis par ses prédécesseurs et de l’affaiblissement de l’Etat et des services publics, minés par les recettes néolibérales. Pour se donner l’illusion d’agir et pour tenter d’entrer dans l’Histoire, il se lance dans une guerre, par exemple en Lybie, nous fait revenir dans le commandement intégré de l’Otan, invente la “souveraineté européenne”…

Quelles que soient son étiquette politique et sa psychologie, le président quinquennal n’a pas le temps de réfléchir à la fonction présidentielle, ce qui lui permet d’ailleurs de la violer allègrement, dans cette autre illusion qu’est la “gouvernance”. S’il daignait s’intéresser à la nature de sa charge, il se souviendrait que, de tout temps, elle a été conçue comme une dignité qui élève le serviteur de l’Etat – dès lors qu’il remplit ses devoirs d’Etat dans l’humilité. Relisant le texte constitutionnel, il comprendrait que l’impératif de l’arbitrage le porte au-delà des choix politiciens et des intérêts particuliers. Puis il apprendrait à distinguer le pouvoir et l’autorité : il y a le pouvoir effectif du Premier ministre qui détermine et conduit la politique de la nation ; il y a l’autorité symbolique qui ne s’exerce pas sur les choses et les gens mais qui s’affirme comme garante de l’unité nationale et comme ultime recours en période de crise. C’est cette garantie du lien social qui permet la reconnaissance du chef de l’Etat comme représentant de la nation, dans les monarchies électives comme dans les monarchies royales qui ont l’avantage de garantir la continuité dans le long terme.

Emmanuel Macron est un homme intelligent qui n’a pas l’intelligence de sa fonction et qui méprise la dignité de sa fonction. Il se voit en réformateur inspiré, alors qu’il est le chef provisoire du parti de la rente. Il a cru séduire par son habileté discursive et par ses postures, mais il est le président le plus impopulaire de notre histoire constitutionnelle. Il a cru compter parmi les Grands de ce monde, mais se laisse humilier par Donald Trump.

La jeunesse aussi est un naufrage, lorsque les prétentions mondaines effacent les devoirs de la charge. Le faiseur de pluie est nu.

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Editorial du numéro 1309 de « Royaliste » – 20 octobre 2025

 

 

 

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