La mort de la reine d’Angleterre rend presque inutile le commentaire des royalistes déclarés : tous les concepts que nous utilisons d’ordinaire pour expliquer la monarchie royale deviennent en ce moment des réalités immédiatement perceptibles.
Rien de plus réel que l’autorité symbolique d’une personne capable d’incarner et de faire l’unité d’un peuple en proie à ses conflits. Rien de plus physique que cette transmission de la couronne, dès l’instant de la mort, à celui qui va prendre la charge selon la loi de succession.
La légitimité apparaît alors dans sa pleine évidence. La dynastie qui se prolonge et se renouvelle rend manifeste la continuité de l’aventure historique, sans que la collectivité puisse se satisfaire de la force de la tradition. La continuité est toujours un risque à courir et le souverain doit confirmer sa légitimité historique par une volonté sans faille pour le service de la collectivité. C’est alors que le démos, aujourd’hui rassemblé dans le deuil, exprime de diverses manières la force du lien qui l’unit à la personne du souverain.
Des funérailles d’Elisabeth II au couronnement de Charles III, le peuple britannique, les peuples du Commonwealth et une partie notable de la population mondiale vont participer ou assister de loin à une extraordinaire manifestation de cette sacralité que la modernité voudrait abolir et qui se manifeste par la beauté de ses rituels religieux et militaires. Il y a plusieurs manières d’expliquer la transcendance de l’autorité politique, mais il suffit de constater que c’est le peuple lui-même, et massivement, qui plébiscite la transcendance du souverain.
Le flux médiatique ne saurait nous faire oublier que la royauté vient explicitement couronner les institutions monarchiques. Deux jours avant de mourir, la reine d’Angleterre a eu la force de recevoir en audience Liz Truss pour lui demander de former un gouvernement afin que la continuité du pouvoir démocratique soit elle aussi assurée. Les Britanniques comprennent plus facilement que nous la nécessité, pour le bon fonctionnement de la démocratie, d’un tiers arbitre, d’une autorité extérieure au jeu politique, à la fois transcendante et enracinée.
Le concert des éloges de la reine d’Angleterre est classiquement troublé par des voix discordantes qui dénoncent le luxe de la Couronne britannique et son folklore pour midinettes. La morale austéritaire a toujours des adeptes, et la pose rationaliste fait toujours son effet. Les moralistes seraient cependant bien avisés de prendre en considération le sacrifice permanent qu’implique la fonction royale. Entrer en fonction, c’est renoncer à soi-même, contraindre sans cesse son corps et souvent son esprit – non pour quelques années mais pour toute la vie. Le prince héritier n’échappe pas à ces contraintes et nul ne saurait prétendre sérieusement que Charles III s’est contenté d’attendre la succession comme le ferait l’héritier du roi du potage en sachet.
Réduire la monarchie britannique à un spectacle coûteux pour peuple abêti n’est pas plus pertinent. Il faut une énorme dose de mépris pour affirmer que les cérémonies du deuil puis celles du couronnement ne bernent que des millions d’imbéciles. Les Britanniques, qui vivent toujours avec Shakespeare, n’ignorent rien des perversions du pouvoir et des errements tragiques des rois ; ils apprécient d’autant mieux la grandeur de la reine qui vient de mourir – grande par le service qu’elle leur a rendu au cours des soixante-dix années de son règne.
Ce service se définit très simplement : être au-dessus de toutes les guerres intestines et de toutes les mêlées politiciennes pour rassembler ce qui menace sans cesse de se disjoindre. Telle est la fonction de l’autorité symbolique. La sacralité de la personne royale tient à sa capacité institutionnelle d’assurer le lien entre les uns et les autres.
Le discours médiatique pointe ces évidences authentiquement vécues qui, à nos yeux, rendent d’autant plus épais le silence sur le manque qui affecte profondément la France et les Français. Manque d’incarnation. Déficit symbolique. Sacralité dévoyée par les artifices de la communication. Dans sa forme septennale, la monarchie élective présentait de redoutables ambiguïtés, mais il était encore possible de se raccrocher à une symbolique du pouvoir. La réduction au quinquennat a provoqué la confusion des pouvoirs et des fonctions, que les pathologies propres aux trois derniers présidents sont venues aggraver.
La plupart des Français souhaitent une présidence arbitrale et sans doute quelqu’un à aimer. Or leur choix se fait surtout faute de mieux, pour éviter le pire – quand ce n’est pas le choix de l’abstention. Dans une période agitée, c’est dramatique. Dans une période de crise systémique, cela peut devenir tragique.
J’aimerais pouvoir écrire que l’exemplarité britannique va nous aider à sortir de l’impasse, mais ce n’est pas par l’imitation du cher vieux royaume que nous y échapperons. La monarchie tricolore de Louis-Philippe et la monarchie élective du général de Gaulle ont ouvert une voie spécifique vers la monarchie royale, conforme à la logique de l’Etat national.
***
Editorial du numéro 1239 de « Royaliste » – 10 septembre 2022
Je comprends vos arguments qui sont pertinents.
Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas royaliste (tout en reconnaissant les services rendus à notre pays par la Maison de France – la vraie, pas celle du « prétendant » néo-franquiste), car pour moi on ne peut prétendre à un titre de souverain par sa seule naissance, par le fait héréditaire.
Ce qui est certain en revanche c’est que vous contrairement à d’autres n’êtes pas dans l’utopie d’un retour à la monarchie où le roi posséderait tous les pouvoirs politiques comme l’appelait de ses voeux Maurras dans une démonstration jugée impeccable par l’AF mais dont vous avez remarquablement démontré dans La République au Roi dormant qu’elle ne tenait pas.