Laurent Joly révèle le projet de Zemmour

Mar 13, 2022 | La guerre, la Résistance et la Déportation | 3 commentaires

 

 

Mais pourquoi donc Éric Zemmour s’obstine-t-il à faire de Pétain le sauveur des juifs français ? Son révisionnisme éculé trouve son sens dans un projet soigneusement médité.

Lorsque des historiens de métier dévoilent les mensonges d’Éric Zemmour, le polémiste devenu candidat les dénonce comme “idéologues”. Tout détenteur autoproclamé de la Vérité utilise ce procédé rhétorique, qui permet de briller dans les médias mais qui ne résiste pas à un examen méthodique. Historien de Vichy, de l’antisémitisme et de l’extrême droite, Laurent Joly en apporte la démonstration minutieuse (1) en soulignant d’abord que le brio du polémiste masque un vieux fond de sauce idéologique : il s’agit du maurrassisme, creuset du nationalisme ethnique et du populisme, que l’on retrouve en fortes doses en 1940 dans la Révolution nationale.

L’époustouflante transgression sur Pétain, « sauveur » des juifs français et bouclier de la nation, n’est rien d’autre qu’une reprise paresseuse de la plaidoirie de Me Isorni, avocat de Pétain. S’y ajoutent une compilation des  écrits de Robert Aron, auteur en 1954 d’un ouvrage trop rapidement troussé sur l’histoire de Vichy, d’Alfred Fabre-Luce, ancien collabo, et de quelques autres figures douteuses. Éric Zemmour se dit gaulliste, en oubliant que le Général a immédiatement rejeté la fable de l’épée et du bouclier inventée par le colonel Rémy : dès 1940, les gaullistes ont combattu Pétain comme traître à la patrie.

Pour défendre ses affabulations, Éric Zemmour manipule les témoignages, tronque les textes, déforme les faits, accumule les mensonges, monte un invraisemblable procès contre Robert Paxton (qui mérite d’autres critiques) et s’oppose à tous les historiens de la période vichyste – tous sauf un, Alain Michel, largement récusé par ses collègues. Les démonstrations de Laurent Joly sont implacables : nous avons affaire à un révisionnisme et le prétendu sauvetage des juifs français par Pétain relève du négationnisme.

L’obstination zemmourienne à plaider l’implaidable ne relève pas la pathologie mais d’un projet politique mûrement réfléchi, qu’en suivant Laurent Joly on peut résumer ainsi :

Pour gagner, il faut faire l’union des droites que Jacques Chirac et ses successeurs avaient empêchée en faisant barrage au Front national.

Cette union implique la réconciliation entre la droite vichyste et la droite gaulliste, d’où la reprise de la fable de l’épée gaullienne et du bouclier pétainiste.

Libérer la droite de ses complexes, c’est ce qui permet l’expulsion massive d’arabo-musulmans au prix de la destruction de notre Etat de droit. Affirmer que Pétain a sacrifié les juifs étrangers pour sauver les juifs français, c’est préparer les esprits à un calcul “réaliste” face à la prétendue menace du grand remplacement.

Dans les premières pages de son livre, Laurent Joly écrit que “Le cas Zemmour est sans précédent. Jamais, dans l’histoire politique de la France depuis deux cents ans, un tel profil d’écrivain-doctrinaire marqué à l’extrême droite n’a été en mesure de jouer un rôle de premier plan”. Dénonçant ses thèses il y a quelques années, nous avions souhaité sa candidature, et son échec, à la présidentielle. Éric Zemmour a franchi le premier pas. Le voici devant le peuple français. Il est indispensable que chacun sache que la politique de Monsieur Z consiste à fracturer la France par une violence délibérée, comme Pétain l’avait fait.

***

(1) Laurent Joly, La falsification de l’Histoire, Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, Grasset, 2022.

 

Article publié dans le numéro 1230 de « Royaliste » – 14 mars 2022

 

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3 Commentaires

  1. xc

    Quelque chose m’échappe: comment faire « la réconciliation entre la droite vichyste et la droite gaulliste » en tentant de faire gober à cette dernière « la fable de l’épée gaullienne et du bouclier pétainiste » récusée par son fondateur ?

  2. René Fiévet

    Tout ce débat est extraordinairement confus. En effet, Eric Zemmour n’a jamais dit ou écrit que le régime de Vichy avait protégé les juifs français d’une manière générale entre 1940 et 1944 (il ne peut évidemment pas le dire, car ce serait du négationnisme pur et simple) ; il a dit et écrit qu’il avait protégé les juifs français en sacrifiant les juifs étrangers au moment où les nazis ont mis en œuvre leurs intentions criminelles (la « Solution finale ») à partir de mai-juin 1942, ce qui n’est pas du tout la même chose.
    Les juifs français ont effectivement été protégés par Vichy (tant bien que mal) au moment des déportations, par le sacrifice des juifs étrangers qui ont été livrés aux Allemands. Ce qui, moralement, me paraît encore plus condamnable.
    C’est la xénophobie qui explique le comportement de Vichy face aux demandes allemandes, et non pas l’antisémitisme. C’est la préférence nationale appliquée à la Solution finale.
    Est-ce si difficile à comprendre ?

  3. René Fiévet

    Je voudrais revenir sur le commentaire de « xc ». Il a effectivement raison : aucun gaulliste de conviction (qu’il soit de droite ou de gauche) ne peut « gober » la fable de l’épée gaulliste et du bouclier pétainiste. Tout simplement parce que les gaullistes considèrent qu’il n’y a eu qu’une France, qui se trouvait à Londres.
    Toutefois, le discours du Vel d’Hiv de Jacques Chirac en 1995 a réintroduit la théorie des « deux France », qui fut celle des défenseurs de Pétain après la guerre. En d’autres termes, Jacques Chirac a relégitimé le régime de Vichy : comme Jacques Isorni, il considère que ce régime a représenté la France tout aussi valablement que la France Libre. C’est ce que j’appelle le discours pétainiste légitimiste, par opposition au discours Gaulliste républicain. Une version moderne de la théorie des deux France : ce n’est plus « l’épée et le bouclier », c’est « l’épée et l’auto-flagellation collective ».
    Bien entendu, Eric Zemmour s’est engouffré dans la brèche, et la voie est ainsi ouverte pour la réconciliation des deux droites. Certes, il critique le discours de Chirac (au nom du refus de la repentance collective), mais cette re-légitimation du régime de Vichy lui permet de faire ressusciter le thème du rôle protecteur de Pétain à l’égard des Français.