En cette fin de bataille des retraites, la victoire technique de la macronie se paie d’une défaite stratégique. Pour obtenir l’application d’une loi inutile et injuste, il a fallu brutaliser le Parlement et mépriser ouvertement le peuple souverain, tel qu’il s’exprimait dans les rues. Ces violences ont été perpétrées avec la complicité du Conseil constitutionnel, qui est désormais discrédité. Somme toute, l’oligarchie a confirmé sa nature anti-républicaine, révélée en 2005-2007, après le Non au “traité constitutionnel”. Au gouvernement selon l’intérêt général, dans le respect des principes de justice et de liberté, elle a une fois de plus substitué la promotion d’intérêts privés : après la privatisation de l’industrie, il s’agit de marchandiser l’ensemble des services publics – enseignement, santé, transports – en laissant finalement à l’Etat la charge d’assurer aux plus pauvres de médiocres moyens d’existence.

Emmanuel Macron a permis de faire un pas de plus dans l’opération de destruction de l’œuvre accomplie à la Libération mais cette sinistre avancée paraît dérisoire au regard de l’histoire de la lutte des classes dans notre pays : jamais la séparation entre la minorité privilégiée et les classes laborieuses n’a été aussi tranchée, jamais les classes moyennes et populaires n’ont été aussi lucides sur l’implacable violence du système néolibéral.

Il importe peu qu’Emmanuel Macron soit ou non conscient de l’infranchissable fossé qui s’est creusé entre le peuple et la caste dirigeante. Le fait est qu’il cherche à occuper le champ de ruines par un activisme débridé. Implantations d’usines de batteries, discussions avec Elon Musk en vue de l’installation d’une fabrique de Tesla, relance de la fabrication de médicaments sur le territoire national : il s’agit de montrer que la France se réindustrialise, en faisant largement appel au capital étranger et par la promesse de financements publics dans divers secteurs.

Ces initiatives sont trop récentes pour qu’on puisse tenter un premier bilan. On peut cependant observer que cet activisme industriel ne tient pas compte des lourds handicaps – croissance atone, déficits du budget et du commerce extérieur, forte dette publique – qui ne peuvent être surmontés dans une configuration néolibérale et qui exposent aux sanctions des marchés financiers et de la Commission européenne.

L’activisme macronien évoque d’autant plus le funambulisme sur une corde usée que les crises engendrées par les dispositifs néolibéraux ne cessent de s’aggraver, qu’il s’agisse de la santé publique, du logement, des conditions de travail et de rémunération, de la ségrégation territoriale et du déclassement social. Pour enrayer ces crises, on compte ou on fait semblant de compter sur les organes de l’Union européenne qui mènent des actions remarquablement contradictoires. Tout en imposant une libre concurrence désastreuse – par exemple sur le marché de l’électricité, dans le domaine ferroviaire – la Commission et la Banque centrale européenne tentent de sauver l’édifice en faisant le contraire de ce que prescrit la dogmatique néolibérale en matière de création monétaire et de dépenses publiques.

En toutes circonstances, l’Union européenne essaie de gagner du temps ou d’en acheter dans l’attente d’un dénouement miraculeux des contradictions qui la minent. Emmanuel Macron est le prisonnier volontaire de cette même logique. C’est un homme de l’ancien temps qui  continue de croire au marché mondialisé, à l’efficacité du capitalisme américain, à la vertu allemande… Fidèle à son apologie de la disruption, il déclenche une immense colère sociale en présentant une réforme imbécile, s’aperçoit qu’il n’a plus de majorité parlementaire et tente d’acheter du temps par de fausses largesses – par exemple une augmentation de 1,5% pour les fonctionnaires, très loin du taux d’inflation – alors que le vote du budget dépendra des maîtres-chanteurs de la droite oligarchique. Une droite qui hausse le ton sur l’immigration sans jamais admettre que le système économique qu’elle défend requiert une main d’œuvre immigrée et surtout clandestine à très bas prix.

Un chaos géré par des hypocrites. Un funambule guetté à l’automne par la paralysie. Un empilement de contraintes bureaucratiques qui produisent, depuis Bruxelles, des injonctions contradictoires. Il est impossible, dans de telles conditions, d’espérer la reconstruction économique et sociale de notre pays. Nous continuerons d’affirmer que le redressement de notre pays exige la souveraineté monétaire, la protection de l’économie nationale et sa mobilisation dans le cadre d’une planification écologique.

Le rappel de ces conditions générales ne nous a jamais empêché d’approuver des mesures conjoncturelles et de proposer des solutions immédiatement applicables. Nous continuerons ce travail et nous ferons écho à toutes les propositions salutaires avec une conviction qui ne cesse de se renforcer : la France n’est pas une nation en déclin mais la victime d’élites qui ont failli. Tout un peuple d’ingénieurs et de paysans, de chercheurs, d’ouvriers et d’employés, de fonctionnaires de tous rangs, assure notre existence dans l’adversité et se tient prêt pour de grands desseins.

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Editorial du numéro 1259 de « Royaliste » – 18 juin 2023

 

 

 

 

 

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