La colère paysanne semble retombée en Allemagne et en France mais elle flambe en Italie. Quelle que soit leur couleur politique, les gouvernances des principaux pays de l’Union continuent d’acheter du temps avec des “réformes ”et des aides qui ne rendent pas plus supportable la violence néolibérale.

Après la fin de barrages routiers, ce n’est pas le retour au calme qui frappe, c’est sa précarité. Les paysans français qui avaient manifesté leur colère sont retournés à leurs travaux mais les causes de leur révolte n’ont pas disparu. Tout le monde a compris que le gouvernement avait négocié avec la FNSEA des mesures d’urgence, sans tenir compte de l’opposition de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne aux traités de libre-échange.

Le syndicat agricole majoritaire a confirmé sa puissance et sa duplicité. La FNSEA cogère le ministère de l’Agriculture et intervient au sein de la Commission européenne pour la défense de ses propres intérêts – ceux de l’agro-business, surtout céréalier – et négocie des mesures apaisantes. Le syndicat majoritaire n’a même pas besoin de rappeler aux plus activistes des Jeunes agriculteurs qu’il a les moyens de bloquer maintes demandes d’équipement. Il y a un conflit manifeste entre la FNSEA qui défend une agriculture productiviste branchée sur le marché mondial et la paysannerie française, victime du libre-échange et de la Politique agricole commune réformée en 1992 et 2003. Ce conflit va s’intensifier.

Pendant quinze jours, les téléspectateurs ont pu voir des paysans sur les routes qui réaffirmaient du matin au soir leur hostilité au libre-échange avec des arguments tirés de leur propre expérience. Ce formidable moment pédagogique laissera de profondes traces dans la mémoire collective. Le ministre de l’Agriculture et les porte-parole de la FNSEA ont bien vu le danger et répété sur tous les plateaux qu’il fallait du libre-échange pour pouvoir exporter et que sans exportations l’agriculture nationale était condamnée.

Cet argumentaire simpliste relève d’une vieille esbrouffe qui consiste à confondre le protectionnisme et l’autarcie. Il est facile de constater que l’agriculture française exportait à l’époque du Tarif extérieur commun : de 1960 à 1990, les exportations françaises de céréales sont passées de 4 à 30 millions de tonnes, dont 12 millions sur les pays tiers non communautaires. C’est ensuite que les capacités exportatrices de l’agriculture française ont décliné, la France passant du deuxième au cinquième rang des exportateurs mondiaux.

Les mesures annoncées par Gabriel Attal lors de sa déclaration de politique générale apporteront un soulagement dans la gestion quotidienne mais, sur le fond, rien n’est réglé. Le procédé qui consiste à taper sur les Verts et à prendre des décisions antiécologiques pour faire plaisir à la FNSEA ne trompe plus grand monde. Il ne suffit pas non plus de répéter que le projet de traité avec le Mercosur n’est pas acceptable “en l’état” pour faire oublier les ravages de l’ultra-concurrence.

Ce sont les accords de libre-échange déjà signés qui doivent être remis en question, à commencer par l’accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande. Comme le montre Frédéric Farah dans Marianne (1er février), cet accord engendrera des gains très modestes, de l’aveu même de la Commission européenne, et ces gains devront être partagés entre les Etats membres. En revanche, les dégâts provoqués par cet accord ont été immédiats et resteront importants.

Dès que les barrages routiers ont été levés, la Confédération paysanne a intensifié sa campagne en faveur d’une politique des prix et des revenus agricoles. Il est en effet inadmissible que les paysans vendent leur production en dessous du prix de revient tandis que la grande distribution  accumule les profits. Les blocages de plateformes logistiques et les actions dans les grandes surfaces permettent de maintenir la pression mais le gouvernement et ses groupes de soutien professionnels (la FNSEA et le Medef, étroitement liés) ne lâcheront rien sauf révolte de très grande ampleur des paysans, des ouvriers et des employés. Le durcissement des dispositifs sociaux annoncé par Gabriel Attal – réforme du RSA, suppression de l’allocation spécifique de solidarité – confirme le principal souci des classes dirigeantes française et européennes : assurer la défense du Capital par les “réformes” et dans le cadre de la zone euro qui permet de maintenir à très bas niveau les salaires des classes moyennes et populaires et qui pénalise les exportations françaises.

La dénonciation de la zone euro tarde à être mise à l’ordre du jour par les syndicats minoritaires mais la révolte paysanne trop tôt interrompue par la FNSEA a révélé la puissance du mouvement hostile au libre-échange. Elle a aussi permis de lancer la campagne contre le système actuel de distribution des produits alimentaires et contre les pratiques frauduleuses qui prospèrent en raison du laxisme gouvernemental.

Pour tous les citoyens qui subissent chaque jour l’inflation des produits alimentaires et qui voient fondre leur pouvoir d’achat, le mouvement de janvier ouvre de nouvelles perspectives d’action. En France et dans tout l’ouest européen, il y a un bel avenir pour les révoltes.

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Article publié dans le numéro 1272 de « Royaliste » – 10 septembre 2024

 

 

 

 

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