Pour une fois, il s’est tu. Aux obsèques de Dominique Bernard, l’homme qui est censé incarner l’Etat figurait une impuissance érigée en système – non de gouvernement, mais de gestion des problèmes.

Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, la mort d’un autre professeur sous les coups d’un jeune terroriste ne révèle pas seulement une faille sécuritaire. Elle rappelle la permanence de la menace qui pèse sur certains de nos concitoyens, désignés comme cibles en raison de leur enseignement, de leur conviction religieuse ou de leur rôle dans la sécurité publique.

Face au danger qui rôde, on multiplie à raison les actions préventives tandis qu’Emmanuel Macron tonne que l’Etat sera “impitoyable”. Dans la cour de la Sorbonne, le 21 octobre 2020, le même personnage avait déclaré que “Samuel Paty est devenu vendredi le visage de la République, de notre volonté de briser les terroristes, de réduire les islamistes…”. Il y avait eu ensuite le vote d’une loi contre le séparatisme et l’on nous prépare, dans une confusion totale, la 21ème loi sur l’immigration.

Cette impuissance bavarde n’est pas le signe d’un simple laxisme. Bien avant Macron, la classe dirigeante a fait le pari cynique de la résilience de la société française. Elle a parié sur le sens du devoir, sur la passion du métier, sur le dévouement au bien public des militaires, des policiers, des professeurs, des médecins, des infirmières… Elle a parié que, malgré la dégradation de leurs conditions de travail, malgré les mouvements de “grogne” – le mot est significatif – ces personnels décisifs rempliraient jusqu’au bout leurs missions. Pendant la pandémie, on s’est aussi aperçu que nous ne pouvions pas vivre sans les innombrables ouvriers de la maintenance – mais quant à eux il était simple de se dire en haut lieu qu’ils feraient leur boulot parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix.

Ce pari sur le dévouement des personnels décisifs s’est accompagné de budgets minimalistes, selon la trop fameuse rigueur qui n’a jamais empêché les cadeaux fiscaux aux hautes classes et le versement de subventions inopérantes au patronat. Quand on a le sens du devoir, n’est-ce pas, on s’arrange avec les moyens du bord… Nous avons vu le résultat de ce calcul sordide lors de la pandémie. C’était peu avant qu’on s’aperçoive que notre armée n’avait plus les moyens d’assurer la défense du territoire par des moyens conventionnels – mais on continue de faire patrouiller dans les rues les hommes de régiments d’élite au mépris de leur entraînement. Et nous voyons nos policiers, qui devraient faire de la police de proximité, dépassés par les organisations mafieuses et à nouveau défiés par les terroristes.

Il est vrai que les moyens du renseignement ont été augmentés, de même que les effectifs de la police et de la gendarmerie. Encore faut-il que les services de renseignements soient écoutés par les autorités politiques – ce ne fut pas le cas au Niger – et qu’il y ait une claire doctrine d’emploi des forces de police. Or l’assassinat de Dominique Bernard remet en évidence l’immense désordre dans lequel ont disparu la politique de sûreté publique et la politique de l’immigration.

Ce désordre se produit dans un environnement tracé par la Cour européenne des droits de l’homme, par les directives de l’Union européenne et par sa pratique de la privatisation de toutes choses – y compris la lutte antiterroriste. C’est dans ce désordre “européen” que s’inscrit la pratique ordinaire mais rigoureusement antipolitique de cogestion du ministère de l’Intérieur par les directions syndicales. S’y ajoute la cogestion des questions migratoires et du droit d’asile par le ministère et par des entrepreneurs humanitaires grassement subventionnés et résolus à imposer l’idéologie sans-frontiériste. La surcharge de travail des fonctionnaires et les travers ordinaires de la bureaucratie s’ajoutent aux désordres structurels et, corruption aidant, on voit l’État admettre sur le territoire national des individus dangereux, fabriquer des clandestins par impéritie et se trouver dans l’incapacité de faire appliquer les décisions de justice relatives aux expulsions d’étrangers délinquants.

Pour que le tableau ne soit pas trop incomplet, j’ajoute les petits arrangements locaux pour s’attirer la bienveillance des islamistes, le pacte tacite avec les tenanciers de l’économie parallèle en vue du maintien de l’ordre et la cécité volontaire lorsque des lycéens juifs sont harcelés. J’ai bien entendu le ministre de l’Intérieur déclarer que “personne ne touchera à un cheveu d’un juif de France sans attendre la réponse foudroyante de l’État”. Mais pourquoi a-t-on laissé l’antisémitisme se développer depuis au moins trente ans dans divers quartiers et écoles ?

A très bas prix, la gouvernance oligarchique a acheté du temps par des “chèques” et des subventions, en pariant que le dévouement des personnes et le temps qui passe finiraient par diluer les problèmes. Or le temps de l’histoire n’est pas passé et il n’y a pas de fonction publique ni de citoyenneté sans une autorité effective, sans la puissance de gouverner qui implique le choix méthodique des moyens et l’explicitation de ceux-ci. Dans l’angoisse, nous attendons.

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Editorial du numéro 1264 de « Royaliste

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3 Commentaires

  1. RR

    On voit où nous mène la République: Dans le fossé, et quel fossé!
    On n’aurait jamais vu ça avec le pire de nos rois.
    Il n’est pas nécessaire d’être de l’Action française quoique je ne cache pas ma sympathie pour laRestauration nationale où l’on retrouve un peu depuis quelques temps déjà la démarche qui était celle de la NAF, pour constater que si le déclin a commencé avant même la Révolution (noyautage de la haute bourgeoisie), la République l’a accéléré pour nous amener à une situation dont on se demande s’il est encore possible de s’en sortir. De ce point de vue, même si j’ai beaucoup de sympathie aussi pour la NAR et notamment pour Bertrand Renouvin, je pense qu’une république couronnée ne changerait guère la situation. Le Mal, c’est le système républicain couronné ou non. Des débats s’imposent à mon avis sur cette question.

    • Bertrand Renouvin

      Merci pour votre commentaire, auquel je ne peux souscrire. Je décris plusieurs traits de la gouvernance oligarchique (quelques-uns dirigent pour le service d’intérêts privés) qui rompt avec les principes de la République : le gouvernement selon l’intérêt général, dans le respect des exigences communes de justice et de liberté.
      La République n’est pas un régime politique mais un corps de principes, qui sont les fruits de notre histoire nationale et de notre civilisation. J’ai rappelé sur ce blog et dans des interventions sur la chaîne YouTube de la NAR la généalogie grecque et romaine de la République (Politeia, Respublica) et son cheminement au fil des différentes époques de la monarchie capétienne, puis pendant et après la Révolution française.
      Supprimer la République, cela signifie-t-il qu’on va récuser le principe de Liberté, source de nos libertés publiques ? Récuser le principe d’Égalité, ce qui provoquerait l’effondrement de notre droit administratif ? Récuser le principe de laïcité qui a été pour une large part engendré par l’Etat royal à partir du XIVe siècle ? Détruire notre bloc de constitutionnalité – la Déclaration de 1789 rédigée par des partisans de la monarchie constitutionnelle, et le Préambule de 1946 qui concrétise l’idéal de la Résistance ?
      Quand on a effectivement supprimé la République, en juillet 1940, on a créé une dictature qui fut un système d’asservissement et de persécution. Que ferait-on d’autre aujourd’hui ?

  2. Catoneo

    Le désordre du régalien est consubstantiel à l’extension de son domaine dans tous les compartiments de la vie sociale puisqu’il faut bien régler l’usage des matrices en tout genre imposées aux gens.
    L’Etat est devenu gras, graisseux qui ne peut se mouvoir.

    On gouverne dans la lucarne qui, si on l’entourait de petits rideaux rouges, aurait l’aspect du théâtre de Guignol.

    La Nation est étouffée par son Etat ; il est en capacité de la vaincre !