Le parti des Politiques et l’avènement de l’État moderne (5) – Chronique 173

Août 22, 2022 | Res Publica

 

Le roman, le cinéma et divers livres d’histoire ont ancré l’idée de l’écrasante responsabilité de Charles IX, roi faible, et de Catherine de Médicis, reine cynique, dans les massacres déclenchés le 24 août 1572. Un vif débat demeure entre les savants qui ont récemment travaillé sur la Saint-Barthélemy (1). N’étant pas historien et encore moins seiziémiste, je ne suis pas qualifié pour le trancher. Mon intention est simplement de saisir les mouvements historiques qui ont plongé la France dans la guerre civile et religieuse, menacé d’emporter l’Etat et d’asservir le royaume, puis permis de rétablir l’autorité de l’Etat légitime et l’unité d’un pays souverain. C’est dans cette perspective que je tente de retenir les points saillants d’une tragédie qui gardera toujours sa part d’obscurité.

Nul ne saura jamais ce qui s’est dit au Louvre dans la nuit du 23 au 24 août : il n’y a pas d’archives et les témoignages sont à prendre avec de grandes précautions. Henri de Guise, héritier de la haine éradicatrice de son père et chef après lui des ultra-catholiques, est manifestement le commanditaire de l’attentat contre Coligny. Celui qu’on appelle Le Balafré est présent devant la demeure de l’amiral quand les tueurs y pénètrent. C’est lui qui appelle les soldats et les milices bourgeoises au massacre général, en clamant faussement que le roi l’ordonne – ce qui implique un plan préalable de mobilisation.

Le duc de Guise n’est que l’élément déclencheur d’un massacre dont l’ampleur s’explique par la conjonction de nombreux facteurs. La mystique purificatrice qui anime une partie du peuple catholique depuis plusieurs décennies agit comme le carburant toujours renouvelé de l’incendie. Il faut aussi souligner le rôle des nombreux incendiaires et de ceux qui choisissent délibérément une inertie complice. Tous n’agissent pas pour la défense de la cause catholique mais tous convergent sur le mode panique vers les protestants. Il y a la mutinerie de soldats qui n’ont pas été payés depuis des mois. Il y a la colère des bourgeois de Paris, qui refusent la politique fiscale de la monarchie et qui sont acquis à l’extrémisme religieux : en décembre 1571, par la voix du Prévôt des marchands, ils ont averti le roi que “sa couronne est entre l’enclume et le marteau” et qu’il la sauvera en rejoignant le camp catholique. Il y a le parlement de Paris, en lutte contre le roi, et qui reste silencieux pendant les massacres. Il y a les agents de l’Espagne, officiels et officieux, qui, de multiples manières, poussent les feux de la guerre civile en communion d’esprit et d’intentions avec les prédicateurs parisiens.

Tous ces facteurs créent une situation insurrectionnelle qui menace Charles IX et Catherine de Médicis, enfermés dans le Louvre, où les gardes suisses et français tuent les gentilshommes réformés surpris dans leur sommeil. Le roi et la reine mère n’ont aucune prise sur les troupes et sur les foules qui opèrent dans les rues. Il est probable que le roi, pour sauver sa couronne, a décidé de laisser faire le duc de Guise afin de détourner les circuits de la violence vers l’amiral de Coligny et les chefs protestants. Il n’y a pas trace d’un ordre donné par Charles IX. Le roi a sans doute exprimé d’une manière ou d’une autre son assentiment à l’élimination des chefs du parti huguenot et livré aux assassins les gentilshommes qui dormaient au Louvre – sans se douter que la terrible dynamique du massacre allait gagner toute la capitale.

L’attitude du roi est inexcusable mais elle peut s’expliquer par le climat de peur qui, en cette nuit fatidique, gagne soudain le palais et affole les esprits. Le choix délibéré d’un massacre partiel ou généralisé est contraire à la politique suivie par la monarchie royale depuis le début des guerres de Religion, contraire à la politique matrimoniale qui vient de réussir. Mais, pendant ces courtes heures nocturnes, ce roi qui calcule avec finesse ses manœuvres politiques n’a pas de temps devant lui. Il peut seulement mesurer son impuissance face à la pression des Guises et, derrière eux, de l’Espagne. Charles IX a sans doute voulu sauver l’autorité royale défaillante en feignant d’être l’organisateur d’un événement qui le dépassait (2). Il a agi comme le stratège qui, sous la pression ennemie, sacrifie délibérément un régiment pour soulager la pression qui s’exerce sur lui en vue de reprendre dès que possible l’avantage.

Cette hypothèse est étayée par plusieurs faits. Dès le 24 août, le roi fait expédier partout en France des messages écrits qui tentent de réduire la portée des événements parisiens et qui visent au maintien de l’ordre public. Il existe aussi maints témoignages de recommandations verbales visant à la protection des huguenots en province. De nombreux protestants ont défendu le roi, persuadés que les massacres avaient été commis contre la volonté royale…

Je ne peux reprendre ici les débats suscités par l’attitude du roi dans les jours qui suivirent la Saint-Barthélemy mais je tiens à souligner tout l’intérêt d’un document retrouvé par Jean-Louis Bourgeon en 2014. Il s’agit d’une lettre écrite par le duc de Nevers, à “la royne mère” un an après les événements, le 20 août 1573. Ce proche conseiller de Catherine de Médicis s’inquiète de la nouvelle Saint-Barthélemy qui pourrait se produire et décrit les événements de l’an passé comme une “esmeute générale,” une “sédition”, une “rebellion” contre l’autorité royale, ajoutant qu’il s’agit d’une nouvelle “querelle du bien publicq […] couverte du manteau de la Religion”. Selon le duc de Nevers, de grands seigneurs auraient exploité la colère anti-fiscale des Parisiens et leur exaltation religieuse. Face à cette sédition, le pouvoir royal aurait cherché à échapper au pire, c’est-à-dire à “ceulx qui vouldroient gouverner le Roy et le roiaulme à leur fantesye”. Ces mots visent clairement les Guises (3).

Il s’avère que Charles IX reste un roi menacé après la Saint-Barthélemy. L’insurrection d’août n’a pas mis la couronne sous le contrôle des ultra-catholiques mais les bénéficiaires des massacres d’août 1572 sont les ennemis du roi :

En Espagne, Philippe II peut se réjouir de la reprise de la guerre civile en France et le duc D’Albe peut se féliciter de l’élimination de Coligny et des chefs militaires réformés qui menaçaient de venir renforcer les troupes de Guillaume d’Orange.

A Rome, la papauté triomphe sans la moindre retenue. Grégoire XIII fait frapper une médaille sur laquelle on voit un ange armé d’un glaive et d’une croix qui frappe les hérétiques. Bel hommage aux éradicateurs – qui ont été encouragés par le nonce apostolique et par maints ecclésiastiques. Le pape envoie enfin la fameuse dispense de consanguinité parce qu’il a obtenu l’abjuration du roi de Navarre et la restauration du culte catholique dans ses États de Béarn. Le roi de France a cependant réussi à maintenir l’édit de pacification, donc le principe de la liberté de conscience, et à préserver son alliance avec les Ottomans.

A Paris, le duc de Guise peut être satisfait du travail accompli : des milliers de réformés ont été éliminés et la guerre civile peut reprendre. En 1576, le parti guisard se forme en Sainte Ligue pour la défense de l’Eglise catholique (4). C’est l’acte de naissance officiel du parti espagnol qui ne mène pas seulement la guerre religieuse avec le très actif soutien de Madrid : la Ligue, selon le très ancien programme des ultra-catholiques, veut détruire la légitimité monarchique et c’est bien ce qu’elle tente de réussir par la journée des barricades du 12 mai 1588 qui oblige Henri III à se retirer de la capitale. Et c’est un ligueur, Jacques Clément, qui assassine le roi de France, le 1er août 1589. Il faudra attendre juin 1595 pour que la Ligue soit enfin détruite mais le parti espagnol aura encore de très beaux jours devant lui.

(à suivre)

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(1) Denis Crouzet, La nuit de la Saint-Barthélemy, Un rêve perdu de la Renaissance, Fayard Pluriel, 2012, première édition 1994, et Jean-Louis Bourgeon, Charles IX devant la Saint-Barthélemy, Droz, 1995, avec en postface une critique du livre de Denis Crouzet précité.

(2) A l’ambassadeur de Toscane, Catherine de Médicis avoue qu’ “Il valait mieux que cela tombât sur eux que sur nous”. Jean-Louis Bourgeon, cit. page 21, note 1.

(3) J-L. Bourgeon, « Un texte capital sur la Saint-Barthélemy : le « Discours à la royne mère du roi (20 août 1573) », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, tome 160, 2014, pp. 709-732. Présentation du texte par Joël Cornette, dans L’Histoire, février 2015 : https://www.lhistoire.fr/rebondissement-sur-la-saint-barth%C3%A9lemy

(4) Nicolas Le Roux, Portraits d’un royaume, Henri III, la noblesse et la Ligue, Passés/Composés, 2020.

 

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