Au siècle dernier, la propagande maurrassienne célébrait “le roi en ses conseils, le peuple en ses états”. Le slogan signifiait que le bon peuple occupé à ses affaires locales et professionnelles ne devait pas se mêler de politique, domaine réservé à un souverain voué au bien commun et entouré de conseillers choisis pour leur sagesse.
D’innombrables exemples pulvérisent le schéma maurrassien mais la monarchie élective et l’autocratie quinquennale entretiennent l’idée, dans les élites courtisanes et les bases militantes, que le chef de l’Etat et les gens du « Château » élyséen allient à un grand savoir la haute pertinence de leurs jugements. Emmanuel Macron n’est-il pas loué pour son expertise épidémiologique ?
Il est vrai que nous avons approuvé la Ve République gaullienne pour avoir restauré l’unité de la décision mais nous avons pu observer de près les conflits au sein du pouvoir exécutif à l’époque de François Mitterrand et nous avons appris à mesurer les difficultés et les risques inhérents à toute décision politique et militaire (1). Le rapport de la Commission de recherche sur les archives relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis nous permet d’examiner, au-delà des accusations et des plaidoiries sur les dirigeants de l’époque, la pratique de la décision dans la Ve République, avant et pendant la cohabitation de 1993-1995.
Je ne peux résumer ni même évoquer ici les principaux aspects de ce rapport de 977 pages, dont je retiens un seul point qui touche à l’information du président de la République et au processus de décision en situation de crise extérieure. Il s’avère que l’Elysée n’a pas su anticiper le processus génocidaire en raison de “l’activisme” et des partis-pris de l’état-major particulier du chef de l’Etat, qui a contrôlé l’information par divers moyens de pression et qui est intervenu directement dans le domaine rwandais par des pratiques irrégulières. Au fil du rapport, on voit comment les sympathies personnelles, les préjugés culturels, les réseaux de conseillers, la surabondance de l’information et ses carences viennent brouiller le jugement politique et tordre “la pointe inaltérable de la décision” évoquée par François Mitterrand.
On ne saurait se résigner en rappelant que ces failles dans la décision politique sont de tous les temps et de tous les pays. Toujours préférables au génie des “guides” qui ont présidé aux tragédies du XXe siècle, les fragilités humaines peuvent être compensées par la force des principes, la cohérence des institutions et la rigueur dans l’exercice des fonctions. Quant à la prise de décision, je m’en tiens à trois remarques qui mériteraient plus ample réflexion :
Le quinquennat est une dangereuse folie. L’homme de l’Élysée qui intervient sans cesse comme Premier ministre, comme chef de diverses administrations, comme président de parti tout en préparant une nouvelle candidature, ne peut avoir une vision claire de la hiérarchie des urgences et décide nécessairement dans une confusion aggravée par l’épuisement de ses conseillers.
Il est possible de revenir à la raison en appliquant à la lettre la Constitution gaullienne : le président est en charge de l’essentiel selon l’article 5, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation selon l’article 20 – sans oublier qu’il “dispose de l’administration et de la force armée”. Dans le domaine de la défense nationale, il faut que soit strictement appliqué le Code de la Défense qui stipule que “Le Premier ministre responsable de la défense nationale exerce la direction générale et la direction militaire de la défense”. Le président de la République sera par conséquent dégagé des tâches de commandement direct qu’il s’est appropriées tout en restant le “chef des armées” qui donne l’ordre d’engagement des forces nucléaires.
On peut aussi envisager un plein accomplissement de la Ve République par la transformation de la monarchie élective en monarchie royale. Le Premier ministre verrait son autorité renforcée puisqu’il serait désigné au suffrage universel en tant que chef du parti vainqueur aux élections législatives. Le Gouvernement bénéficierait de ce renforcement de la puissance effective de gouverner, sous le contrôle du Parlement. Le roi, chef de l’Etat, serait quant à lui libéré de toutes les tâches qui encombrent le président de la République : direction du parti dominant, toujours compliquée par le jeu des tendances et des intrigues ; rivalité avec le Premier ministre, candidat potentiel à sa succession ; surveillance des ministères par un cabinet pléthorique ; mesures démagogiques en vue de la réélection… Dès lors, le chef de l’Etat pourrait exercer pleinement sa fonction arbitrale, veiller à l’indépendance nationale, jouer son rôle diplomatique en lien avec le Premier ministre et le ministère des Affaires étrangères. Il y aurait de fortes chances que ce chef d’État en vienne à incarner, aux yeux des Français, l’unité nationale.
Rétablir le politique dans sa fonction symbolique, c’est ce que nous permettrait de reconstruire l’État et de relancer la dynamique nationale.
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(1) Cf. les récentes conférences de Jacques Sapir et de Benoist Bihan sur la chaîne YouTube de la NAR.
Editorial du numéro 1209 de « Royaliste » – Avril 2021
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