Le roi absolu, cette obsession française

Nov 18, 2022 | Res Publica

 

Éminent spécialiste de l’Ancien Régime, Joël Cornette nous permet de mieux connaître les divers aspects de cette réalité complexe qui fut tardivement désignée comme “absolutisme”. Entre glorification éperdue et rejet, l’absoluité royale continue de marquer la conception française de l’Etat.

L’absolutisme ne figure pas dans le vocabulaire politique de l’Ancien Régime. C’est Chateaubriand qui crée le néologisme en 1826. Mais la chose – l’absoluité – existe avant 1789 puisqu’on réfléchit couramment sur le “pouvoir absolu”, la “puissance absolue”, le “roi absolu”. Au sens premier, le mot signifie que le roi, qui incarne l’Etat, est libre de tout lien – ab solutus – de dépendance à l’égard des personnes et des corps qui composent le royaume.

Cette absoluité n’engendre pas une emprise totale sur la société. Cela tient à la taille plus que modeste de l’administration royale : François Ier est entouré de cinq mille officiers ; ils ne seront que 60 000 à l’époque de Colbert, pour un royaume de vingt millions d’habitants. Montaigne observait que “le poids de la souveraineté ne touche un gentilhomme français à peine deux fois dans sa vie”. Joël Cornette nous rappelle cependant le poids de la fiscalité, le poids de l’armée royale et celui des pénuries de denrées en raison d’une organisation défaillante de l’Etat… Sans oublier le poids de la persécution religieuse avant et après la Révocation de l’Edit de Nantes…

La puissance du roi absolu est dans la symbolique du pouvoir et dans l’éclat de ses manifestations. Les châteaux et palais royaux, les jardins, la forme des villes, les fêtes, la manière de raconter l’histoire forment une représentation permanente de la souveraineté, un discours livresque et architectural sur la grandeur de la France qui continue d’exercer son attrait sur nos contemporains. Comme le montre Joël Cornette, la monarchie élective dans la Vème République gaullienne fut l’un des aboutissements – provisoire puisque le quinquennat a ruiné la fonction présidentielle – de la religion de l’Etat dans l’ancienne France.

Au Grand Siècle, cette religion unit les élites et le peuple. Dans Le Siècle de Louis XIV, Voltaire écrit que Paris était “idolâtre de son roi” et, de François Ier à Louis XV le Bien-Aimé, les dithyrambes surabondent. Le roi incarne le principe de justice, la médiation apaisante et en cela sacralisée. Puis la religion du roi se transfère à l’Etat parce que le roi lui-même se déclare serviteur de l’institution qui demeurera après lui. C’est l’Etat de la raison d’état souvent invoquée, mais encore très loin de la rationalité politique tant il y a dans le royaume de clientèles malgré la domestication de la noblesse à Versailles, tant il y a de confusion entre les fonds publics et la fortune privée des plus hauts serviteurs de l’Etat.

La construction du pouvoir souverain est un projet fortement médité par les légistes de la monarchie mais il procède largement des circonstances politiques. Les guerres de Religion aboutissent à une esquisse de laïcisation d’un Etat qui, au terme de terribles épreuves, finit par transcender les partis religieux. L’assassinat d’Henri IV renforce la France gallicane que Ravaillac voulait détruire et la Fronde réveille la peur de la guerre civile et suscite en réaction le recours à l’Etat royal. Nul n’ignore cependant que la montée en puissance de l’Etat s’accompagne de défaillances qui aboutissent à la destruction de l’Ancien Régime. Joël Cornette évoque “les années de misère du Roi-Soleil” au début du XVIIIe siècle, Louis XIV meurt désacralisé et Louis XV est impuissant face à la montée des oppositions dans un royaume qui refuse le système représentatif.

La puissance royale, dans sa grandeur et dans ses excès répressifs, n’a jamais imposé une aveugle soumission. La violence des pamphlets en témoigne mais aussi les “intellectuels” de l’époque, avant même les philosophes des Lumières. Joël Cornette évoque la querelle entre Bossuet, théoricien de l’absolutisme politique et religieux, et Fénelon, non moins catholique que l’évêque de Meaux, mais qui défend, contre la monarchie administrative et guerrière, l’idée du roi philosophe et bienveillant. A la différence de son adversaire, Bossuet n’aura pas de disciples. Même les monarchistes absolutistes du siècle dernier l’ont ignoré.

En relation avec notre époque de destruction de la puissance publique, on lira avec attention et sympathie les pages consacrées aux serviteurs de l’Etat. L’un d’entre eux est trop peu connu : Nicolas Desmaretz (1648-1721), neveu de Colbert, contrôleur général des Finances et ministre d’Etat, voit venir la crise économique de la fin du XVIIe siècle, dénonce la faillite du système fiscal et financier et procède au cœur de la tempête à une organisation rigoureuse des échanges dans le royaume, “considéré par le contrôleur général comme un territoire économique structuré autour de places centrales rayonnant sur des aires d’influence (…). Ce qui permet la mise en place d’un système d’échanges agricoles entre généralités, afin que les provinces excédentaires puissent secourir les provinces déficitaires.

Vauban ne fut pas seulement un admirable ingénieur militaire mais un excellent observateur de la vie économique et sociale, soucieux des moyens qui permettraient d’arracher des millions de Français à la misère. L’essai qu’il consacre en 1707 à la Dîme royale est révolutionnaire : le nouveau système fiscal reposerait sur une “contribution générale”, proportionnelle à la richesse de chacun, ce qui impliquait la suppression des privilèges fiscaux de la noblesse et du clergé, ainsi que la disparition des impôts sur la consommation. L’ouvrage fut mis au pilon par le Conseil privé du roi mais, contrairement à la légende, Vauban conserva l’estime et l’affection de Louis XIV. Oublié par les Lumières et par la Révolution française, Vauban fut redécouvert en 1803 par le ministre de l’Intérieur de Bonaparte et mérite aujourd’hui une lecture attentive (2).

Le Roi absolu s’est transformé en monarque constitutionnel puis d’autres régimes sont apparus qui ont tous tenté d’articuler le pouvoir politique, dans sa contingence, la nation dans sa dynamique historique et la permanence de l’Etat serviteur de l’intérêt général. Du moins jusqu’aux dernières années du vingtième siècle…

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(1) Joël Cornette, Le roi absolu, Une obsession française, 1515-1715, Tallandier, février 2022.

(2) Vauban, La dîme royale, présenté par Emmanuel Le Roy Ladurie, Acteurs de l’Histoire, Imprimerie nationale, 1992.

 

Article publié dans le numéro 1244 de « Royaliste » – 18 novembre 2022

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