Entre l’Italie et Bruxelles, tout va bien et même très bien. C’est là tout le contraire d’une surprise. Le lendemain des élections italiennes, les voix médiatiques autorisées affirmaient déjà que Giorgia Meloni avait choisi le chemin de la sagesse.

Pendant sa campagne électorale, cette figure de l’extrême droite, issue du mouvement fasciste, avait fait acte de solidarité atlantique et renoncé à toute mise en cause de l’Union européenne. Un bref débat parisiano-parisien sur le “post-fascisme” et quelques évocations du centenaire de la Marche sur Rome n’ont pas troublé les analystes accrédités. Parmi ceux-ci, l’un des plus huppés, Nicolas Baverez, osa même avancer le concept de post-populisme. Ce qui signifiait que Giorgia Meloni, prestement dépouillée de la chemise noire qu’elle ne portait plus depuis belle lurette, serait admise tout au bout de la table des maîtres.

Après avoir annoncé que le voyage à Bruxelles de la nouvelle présidente du Conseil se présentait sous des auspices favorables, les commentateurs autorisés trempèrent le 4 novembre au matin leur plume dans l’eau de rose. Sans chercher l’originalité, Le Figaro s’extasia devant le “tapis rouge” déployé en l’honneur de la présidente du Conseil. Il s’agissait de faire écho à la satisfaction exprimée par l’oligarchie bruxelloise. Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, constata que Bruxelles et le gouvernement italien étaient “totalement alignés sur l’Ukraine”. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, se félicita du “signal fort” envoyé par Giorgia Meloni. Charles Michel, président du Conseil européen, fit savoir par son entourage que la nouvelle venue avait “réitéré son intention d’être loyale et d’être une partenaire désireuse de trouver des solutions à l’intérieur de l’UE”.

Nous l’avions constaté en 2018 lorsque Matteo Salvini était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Giuseppe Conte : une parfaite soumission à Bruxelles autorise l’expression en politique intérieure de différences plus ou moins extrémistes. Le chef de la Ligue avait ainsi continué sa campagne xénophobe et empêché l’arrivée en Italie d’un bateau chargé de migrants sans encourir une excommunication majeure. Après maintes rodomontades et diverses manœuvres, l’homme avait soutenu le gouvernement de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne…

Moins tonitruante que Matteo Salvini, la nouvelle présidente du Conseil peut elle aussi refuser l’accostage de bateaux chargés de migrants. Le Monde fronce les sourcils et Berlin fait part de sa préoccupation mais ce type de tension fait partie d’un jeu qui ne met pas en cause les accords passés avec les organes de l’Union européenne. De même, Giorgia Meloni peut tranquillement porter atteinte à la liberté de réunion en matière de rassemblements musicaux et tout lui sera permis dans le domaine sociétal. Les belles âmes parisiennes écriront des articles vengeurs, la France insoumise clamera que le fascisme est à nos portes mais nul ne voudra voir que les mesures xénophobes et autoritaires sont et seront prises avec la permission de Bruxelles.

Quelle que soit la couleur du gouvernement italien, le spectacle qu’il donne a pour effet de masquer la régression économique et sociale qui a été provoquée par l’entrée dans la zone euro : déclin industriel, déficit commercial croissant, faiblesse des investissements, forte dépendance énergétique, effets destructeurs des mesures d’austérité sur le système éducatif et sur la santé publique…

Le scénario Meloni illustre un violent paradoxe : fruit de la politique néolibérale, le populisme ou post-populisme italien va devenir le chien de garde de la gouvernance bruxelloise – et le peuple italien, qui cherche désespérément une solution politique à ses malheurs, sera une fois de plus sacrifié. Ce scénario tragique est à observer de près puisque les Français risquent de le vivre si Marine Le Pen devient présidente de la République dans quatre ans et demi.

Assurément, les parcours de Giorgia et de Marine sont différents et leurs slogans ne sont pas identiques. Surtout, les stratégies de prise du pouvoir ne sont pas les mêmes dans une République parlementaire et dans un système régi par l’élection présidentielle. Mais il est vrai que, dès 2017, Marine Le Pen a cessé de remettre en cause la zone euro et annoncé qu’elle voulait changer de l’intérieur l’Union européenne. Oubliant les compromissions du Front national avec la Russie, le Rassemblement national observe une prudente réserve sur le conflit en Ukraine et sur son projet de sortie du commandement intégré de l’Otan.

Le parti de Marine Le Pen est pré-positionné pour suivre le scénario Meloni et devenir, sur les décombres des Républicains, le premier parti de la droite française, plus ou moins conservateur, compatible avec le néolibéralisme et, bien entendu, “pragmatique” dans ses relations avec l’Union européenne. Les chances de succès en 2027 devraient écarter tout débat en interne sur le risque manifeste de soumission à la gouvernance bruxelloise et à l’atlantisme.

Il appartient à Jordan Bardella et au groupe parlementaire lepéniste de nous démontrer que nous sommes dans l’erreur.

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Editorial du numéro 1243 de « Royaliste » – 5 novembre 2022

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Serge Marquis

    Bien vu. La chronique d’une impasse stratégique.

  2. RR

    Giorgia Meloni est de toute évidence alignée comme les autres dirigeants d’Europe de l’Ouest sur la politique américaine impérialiste.
    En revanche, je pense que la question migratoire se doit d’être abordée et que l’actuelle politique en la matière n’est pas la bonne; à ce stade, on ne peut pas savoir ce que fera Giorgia Meloni pour l’Italie.

    En ce qui concerne la France, l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République serait une catastrophe et ce pour des raisons évidentes.
    Au cas où elle ne pourrait se représenter en 2027 (elle fait l’objet de poursuites en justice), il ne serait pas plus souhaitable que Jordan Bardella s’impose. Le « R » »N » n’est en aucun cas la solution à nos problèmes. Il est une nuisance et une tromperie politique comme jamais aucune formation politique ne l’a été avant lui.