Chaque fois que la discussion d’un projet de loi provoque d’importantes manifestations dans le pays, il se trouve toujours un ministre pour s’écrier que la Rue ne dictera pas sa loi au Parlement.

Cette réaction indignée lui vaut les félicitations de la presse bien-pensante, qui d’ordinaire évite de se pencher sur les divers modes d’expression de la souveraineté populaire, source de tous les pouvoirs et expression de son propre pouvoir.

A l’opposé des diatribes populistes, nous sommes respectueux de la représentation nationale et nous souhaitons que le Parlement puisse régulièrement délibérer, voter la loi et contrôler l’action du gouvernement.  On a souvent dit que le peuple exerçait sa souveraineté le jour de l’élection des députés, auxquels il abandonnait ensuite son pouvoir. Le décalage entre représentants et représentés est une réalité incontournable mais nous disposons de plusieurs moyens de maintenir un lien avec le législateur – de la pétition à l‘interpellation directe des députés dans leur circonscription. Par ailleurs, le recours au référendum, entre 1958 et 2005, permettait que le peuple français soit saisi de questions fondamentales, qui suscitaient de vastes débats.

Hors ces périodes de choix démocratique, la souveraineté populaire n’est jamais absente puisqu’elle s’exprime de manière permanente dans l’opinion publique. Il est vrai que cette opinion publique est insaisissable dans son ensemble, ce qui n’empêche pas cette réalité d’exister et de se manifester comme “forme éminente de la généralité démocratique” (Marcel Gauchet).

Il est difficile de saisir cette expression du Souverain. Sans abandonner notre critique des sondages, il est permis de s’appuyer sur la constance de certains résultats – sur la popularité du président de la République, sur la crédibilité de la presse, sur le rejet d’une réforme – pour dégager une tendance. Mais plutôt que d’invoquer les sondages comme des vérités qui se suffiraient à elles-mêmes, il faut étayer la tendance sondagière par d’autres indices – de l’article au graffiti en passant par les propos de comptoir et les réseaux sociaux. Il va presque sans dire que les manifestations de rue et les grèves sont les expressions les plus concrètes de la souveraineté populaire, dès lors qu’elles sont encouragées ou du moins acceptées par une majorité de citoyens.

Ce n’est pas tout. Depuis 1958, la représentation nationale et les divers modes d’expression de la souveraineté populaire doivent compter avec le Conseil constitutionnel, qui est chargé de faire respecter le texte constitutionnel et les principes proclamés par la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946 – autrement dit la continuité historique du Souverain. Et nous savons que le président de la République est élu au suffrage universel pour veiller au respect de la Constitution et pour assurer par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat.

Nous bénéficions ainsi d’un système de médiations qui est assurément perfectible mais qui pourrait permettre, s’il était compris et respecté, de prendre en considération les manifestations publiques de la souveraineté populaire et de réfléchir, aujourd’hui, aux moyens d’accorder la loi en débat et le droit que la rue invoque.

Ce n’est qu’un rêve. Le débat sur les retraites se déroule dans un système institutionnel délabré, sous l’égide de personnages publics qui ne respectent ni les principes de la République, ni leurs fonctions.

Il n’y a plus de président de la République depuis le quinquennat mais un super ministre polyvalent qui se préoccupe avant tout des réactions des marchés financiers et des injonctions de la Commission européenne, qui discute avec les grands patrons et qui s’efforce de satisfaire ces diverses puissances – par exemple en essayant d’imposer la retraite à 64 ans.

Il n’y a plus de gouvernement mais une “gouvernance” qui plie la Constitution à la volonté élyséenne. Le recours à l’article 47.1, qui devrait être jugé inconstitutionnel, a permis une pratique jamais vue dans notre histoire parlementaire : la présentation au Sénat, au bout de vingt jours, d’un projet de loi qui n’avait pas été complètement examiné ni voté par l’Assemblée nationale.

Il n’y a plus de “sages de la rue de Montpensier” mais un Conseil constitutionnel qui s’est renié en devenant l’un des organes de l’oligarchie, en lien avec les grands intérêts privés (1).

Il n’y a plus de respect pour la représentation nationale. Tandis que le populisme de droite s’intègre ostensiblement dans le jeu institutionnel, la variante mélenchonienne du populisme de gauche trouble injurieusement le débat parlementaire et donne une image caricaturale du rôle du député. Ceci avant que le Garde des Sceaux réponde par deux bras d’honneur à l’interpellation d’un député…

Tout serait perdu s’il ne restait le peuple souverain, tel qu’il se manifeste dans les rues de France pour demander justice, selon l’exigence commune à tous les peuples et à tous les temps.

***

(1) Lauréline Fontaine, La Constitution maltraitée, Anatomie du Conseil constitutionnel, Editions Amsterdam, février 2023.

Editorial du numéro 1252 de « Royaliste » – 12 mars 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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