L’islamisme politique n’est mis en échec ni par les islamophobes ni par les ennemis de l’islamisme mais par ses propres contradictions. La révolution iranienne en est pétrie.
La révolution iranienne a trente ans. Puisant loin dans l’histoire, directement provoquée par les fautes et les erreurs du deuxième Pahlavi (le coup d’Etat de 1953 contre Mossadegh, l’alignement sur les Etats-Unis, la violence d’un régime policier fortement corrompu) la dictature religieuse a survécu à la mort de l’ayatollah Khomeiny sans doute à cause du système de répression et de terreur qu’il avait institué, plus certainement parce que le peuple iranien s’était soudé pendant les huit ans de la guerre contre l’Irak mais aussi pour d’autres raisons : la démagogie de Mahmoud Ahmadinejad et les faiblesses des opposants (« réformateurs ») qui continuaient de se réclamer de la révolution islamiste.
Mais c’est trop peu dire et trop brutalement. Pour comprendre la société iranienne, dans la complexité des appareils militants qui prétendent l’organiser et la contrôler, pour découvrir la formidable résistance qu’oppose une large fraction du peuple iranien aux entreprises du pouvoir religieux, il faut lire les fortes analyses politiques de Sepideh Farkhondeh (1) et la suivre pas à pas dans les enquêtes qu’elle a menées en Iran auprès de représentants très divers d’une société civile que les médias européens réduisent à une série de clichés (2).
Sepideh Farkhondeh montre de manière très précise comment la nouvelle élite cléricale a islamisé le pouvoir politique dans les premiers temps de la révolution et par quels moyens elle a entrepris de prendre le contrôle total de la société iranienne : endoctrinement scolaire ; surveillance stricte des universités, des entreprises et de la conduite vertueuse des Iraniens dans les lieux publics ; noyautage des corps de métiers et des associations. Bien entendu, le système économique et financier a été islamisé (interdiction du prêt à intérêt) et des fondations ont été créées pour prendre en charge les victimes de guerre et les plus démunis.
Contre l’idéologie et la pratique de la caste des religieux, certains révolutionnaires déçus ont forgé le concept de société civile religieuse, distincte de la théocratie. Sepideh Farkhondeh montre au fil d’une analyse minutieuse qu’il y avait là une impasse théorique et une construction étrangère à la société iranienne. Celle-ci n’est pas, n’a jamais été totalement soumise au Guide suprême, à ses héritiers et à ses milices. Des étudiants et les intellectuels se rebellent, le menu peuple s’aperçoit que les organisations caritatives sont au service des agents électoraux du pouvoir, la dictature de la vertu est niée par beaucoup en leur privé, moquée dans la rue et défiée de mille savoureuses manières, l’incroyance progresse. D’ailleurs, les puissants ne respectent pas la loi islamique dans le domaine financier, la corruption sévit, les purs Gardiens de la révolution sont devenus des entrepreneurs et des banquiers cupides, toutes sortes d’activités illégales prospèrent, les luttes de clans et de classes font rage dans un contexte bouleversé par la révolution de 1979 : comme disent les Iraniens, les épiciers sont devenus fonctionnaires, les fonctionnaires sont devenus épiciers – et le menu peuple souffre du désordre économique.
Somme toute, la société iranienne vit dans l’anomie (l’absence de lois), autrement dit dans un chaos qu’on observe sous la rigidité apparente des entreprises d’intention totalitaire. En Iran, les promesses de la cléricature n’ont pas été tenues et le désir de liberté, avivé par les contrôles et les contraintes, annonce à plus ou moins court terme la délivrance individuelle et collective.
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(1) Sepideh Farkhondeh, Société civile en Iran, Mythes et réalités. L’Harmattan, 2008. 29 €. Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat, effectuée sous la direction d’Olivier Roy.
(2) Exception : les émissions consacrées à l’Iran par Arte, le 11 février. Diffusé le même jour, le documentaire écrit par Jean-François Colosimo et réalisé par Jean-Michel Vecchiet, « Iran, une puissance dévoilée », est édité en DVD chez Arte Editions. Cf : www.arte.tv/iran
Article publié dans le numéro 942 de « Royaliste » – 2009.
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