Les enjeux de l’après-guerre

Mar 11, 1991 | Chemins et distances

 

Personne en France n’a consenti d’un cœur léger à cette guerre du Golfe qui fut une épreuve aux deux sens du terme : une souffrance et une vérification. Garder la mémoire de ce malheur n’empêche pas de souligner les vérités politiques que le conflit a révélées. Elles sont d’autant plus importantes qu’elles devraient nous permettre de participer au rétablissement de la paix entre les nations et de renforcer, dans notre pays, la concorde civile.

Point n’est besoin de souligner à nouveau la force de notre cohésion nationale. Immédiate et tranquille, elle discrédite le discours démagogique sur la « crise d’identité » et montre l’inutilité des crispations jacobines puisque le sentiment d’appartenance à la nation s’est affirmé, en la circonstance, hors de passion belliciste, de toute frénésie sacrificielle, de toute hystérie nationaliste. Cela n’enlève rien aux horreurs de la guerre, mais du moins celles-ci ne sont plus glorifiées.

L a seconde vérification concerne nos institutions qui assurent, sur l’essentiel, l’unité de la décision et la cohérence dans l’action. Nous sommes bien, stricto sensu, dans une monarchie présidentielle et il serait fou de vouloir renoncer à cet avantage.

INSTITUTIONS

Mais il faut cependant noter son caractère tout relatif : outre ses qualités personnelles, le président de la République bénéficie de dix ans d’expérience, sa réélection lui donne une autorité incontestée et le fait qu’il n’envisage pas un autre mandat lui assure une indépendance toute particulière. Un président récemment élu à une très courte majorité ou hanté par sa réélection aurait-il mené une politique aussi décidée et rigoureuse ? Il est permis d’en douter. Ce qui nous fait désirer plus encore,  quant à la continuité et quant à l’indépendance du chef de l’Etat.

Cette action permanente, cohérente et autonome, est aussi nécessaire dans les épreuves de la guerre que pour affronter les difficultés de la paix retrouvée. L’alliance militaire sur le terrain en vue de la libération du Koweït, ne saurait impliquer la moindre soumission aux conceptions diplomatiques américaines. Dans son discours du 24 septembre à l’ONU, le président de la République a très clairement annoncé les objectifs de la politique française : rétablissement de la « complète souveraineté » libanaise, satisfaction de la « légitime aspiration (des Palestiniens) à la possession d’une terre qui serait leur patrie », sécurité d’Israël, réduction des armements au Proche-Orient, lutte contre les injustices dont sont victimes les pays pauvres. Puisque la guerre du Golfe a été faite au nom du droit, en vue de l’établissement d’une paix juste et durable, la France doit en faire la démonstration par des initiatives diplomatiques rapides et claires – quelles que soient par ailleurs les résistances et les manœuvres de ses partenaires. Sinon, quelle déception chez ceux qui ont accepté la guerre, et quelle colère dans nombre de peuples arabes qui pourraient nous reprocher, à juste titre cette fois, une conception élastique du droit.

Gagner la paix demandera du temps. Le président de la République a encore plusieurs années devant lui, mais il lui faudra toute sa persévérance pour triompher de la pesanteur des choses à la fois dans le domaine extérieur, où les intérêts de la principale puissance ne coïncident certainement pas avec les nôtres, et sur le plan intérieur. La guerre a figé les enjeux, paralysé les débats et ralenti les activités. Faut-il se contenter de souhaiter que la vie politique reprenne son cours ? Le bilan des dix années mitterrandiennes, qui sera fait au mois de mai, laisse apparaître trop de retards et de faiblesses pour que nous puissions nous contenter d’une sage gestion des affaires du pays.

TRANSFORMER

Il faut accélérer la politique d’intégration, sans égards pour la propagande du Front national qui a été démentie par l’attitude exemplaire des groupes immigrés ou issus de l’immigration et qui a été discréditée par le comportement irresponsable et scandaleux de J.M. Le Pen tout au long de la crise.

Il faut repenser notre « doctrine » économique et financière, depuis trop longtemps orientée par une dogmatique néo-libérale aussi illusoire que dangereuse. Nous sommes très peu à contester les choix effectués en 1983 au nom d’une prétendue rigueur. On constate aujourd’hui que l’orthodoxie budgétaire, le culte du franc fort et le laisser-faire industriel n’ont pas produit le redressement espéré : la prédominance de la spéculation financière sur l’investissement productif, le déficit croissant de nos échanges indus triels, le nombre inacceptable de personnes réduites au chômage et à la misère montrent l’ampleur de la transformation économique et sociale que nous devons accomplir.

Il faut, mais nous y reviendrons, développer l’Etat de droit sans négliger pour autant la crise de la décision qui affecte le pouvoir politique dans sa fonction gouvernementale.

Rigueur dans l’analyse, cohérence et force des choix : ce qui a prévalu dans la guerre doit aussi s’imposer dans la paix retrouvée.

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Editorial du numéro 554 de « Royaliste » – 11 mars 1991

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