Avec une unanimité remarquable, les médias français décrivent le réveil de l’opposition en Russie après l’assassinat de Boris Nemsov. Celui-ci est présenté comme l’une des principales figures de l’opposition à Vladimir Poutine dans un pays qui n’est pas une démocratie selon le correspondant à Moscou de France 2 qui rendait compte de la manifestation moscovite du 1er mars au journal de 20 heures. Cette présentation est fragmentaire et empreinte de partialité.
Boris Nemsov était certes un opposant déterminé, de tendance libérale, mais son parti n’avait recueilli que 1{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des voix aux dernières élections législatives de 2011 alors que le parti libéral Iabloko y avait obtenu 3, 43{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des voix. Quant à l’opposition extraparlementaire, c’est le nationaliste Alexei Navalny qui en est la principale figure depuis les élections législatives de 2011 et les fraudes massives qui avaient marqué cette consultation. Aux élections municipales de 2012, Navalny avait obtenu 30{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des voix à Moscou en faisant campagne contre la corruption et contre l’immigration. L’opposition extraparlementaire, qui s’était réunie lors d’importantes manifestations de rue à Moscou en 2011 comprend des ultranationalistes, des libéraux et des militants d’extrême gauche regroupés dans le Front de gauche dirigé par Serguei Oudaltsov.
Pour comprendre la vie politique russe, l’opposition extraparlementaire n’est certes pas à négliger. Mais la presse française garde systématiquement le silence sur les trois partis de l’opposition parlementaire – nationaliste, centre-gauche et communiste – que j’ai déjà évoqués ici. Que cela plaise ou non, il est juste de rappeler que le Parti communiste de la Fédération de Russie a obtenu 19,19{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des suffrages aux élections législatives de 2011 (soit 12 599 507 voix) et que son président Guennadi Ziouganov a recueilli 12 318 353 suffrages (17,18{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}) à l’élection présidentielle de 2012.
Ce parti est fort actif. Sur le blog « Histoire et société » (1) j’apprends qu’il y avait le 1er mars deux manifestations à Moscou non loin de la Place Rouge. L’une, organisée par l’opposition extraparlementaire et largement relayée par les médias, a regroupé 70 000 manifestants selon les organisateurs. L’autre, totalement ignorée, a été suivie par une dizaine de milliers de personnes : organisée par le Parti communiste, elle visait le gouvernement Medvedev dont la démission est demandée par pétition depuis plusieurs mois. Voici le compte rendu de cette manifestation, qui donne un aperçu des débats politiques en Russie :
Le 1er mars, le premier jour du printemps, le comité de la ville de Moscou du Parti communiste a organisé une manifestation et un grand meeting baptisé « Printemps rouge ». L’exigence principale des manifestants – la démission immédiate du gouvernement libéral de Medvedev.
La procession a commencé à partir de la Place Novopouchkinskaia et s’est terminée près de la statue de Timiriazev sur les grands boulevards, accompagnée du tintamarre de plats vides. En tête de cortège marchaient les personnages connus de la fable de Krylov (La Fontaine russe) le singe facétieux, l’âne, la chèvre et l’ours maladroit. Ces «héros» personnifiaient le gouvernement russe actuel.
« Vous, mes amis, de quelque façon que vous vous installiez, on ne fera pas de vous des musiciens» – telles sont les célèbres lignes de la fable de Krylov lues par Rachkine, dirigeant des communistes de la capitale à l’ouverture du meeting. Selon son avis, la composition actuelle du gouvernement russe est malade d’une maladie incurable – le cancer libéral. Et, par conséquent, ces ministres capitalistes devraient immédiatement être rejetés. Les participants au meeting ont approuvé la proposition du première secrétaire du Parti communiste de Moscou à l’unanimité.
Selon Valery Fedorovitch, la seule source de salut pour notre pays peut venir des mesures anti-crise du Parti communiste, qui reconstitueront de manière significative le budget vide. Pour cela, il est nécessaire d’introduire une fiscalité progressive dans le pays, adopter un ensemble de lois sur la lutte contre la corruption, nationaliser les ressources naturelles du pays et mettre en place un monopole d’Etat sur la production de produits alcoolisés.
Le député et secrétaire adjoint du Parti communiste de Moscou, Rodine, dans son discours a soulevé la question de la destruction de l’industrie nationale. Au cours des vingt dernières années, ont sombré dans le néant les grandes usines de Moscou » Prolétaire Rouge « , « Likhachev » et » Ordzhonikidze. »
Aujourd’hui les communistes de Moscou se battent pour la préservation des entreprises qui subsistent. Ainsi, la société de recherches et de productions scientifiques « Molniya » fait face à une menace réelle de faillite et de vente. Dans le même temps, les autorités fédérales et municipales se donnent des airs innocents comme s’ils ne pouvaient pas arrêter la destruction d’une entreprise irremplaçable.
« Moscou n’est plus la ville des artistes et des ingénieurs. Moscou est devenue la ville des agents de sécurité et des vendeurs, « – dit-il amèrement.
Puis la parole a été donnée au député à la Douma, membre du Présidium du Comité central du Parti communiste Oboukhov. Au sujet des événements de la veille, l’assassinat de l’homme politique libéral Boris Nemtsov, il a rappelé les propos que celui-ci tenait à Tchernomyrdine dans les jours tragiques d’Octobre 1993. « Ecrasez-les, écrasez-les. Détruisez-les tous avant qu’il ne soit trop tard »- voilà ce que l’on pouvait entendre de la bouche de cet homme politique libéral sanguinaire il y a plus de vingt ans. Et à la veille de son meeting, il a été victime d’une provocation libérale. Oui, Dieu le jugera!
Sergueï Pavlovitch demandé de trouver et punir les meurtriers de nos camarades communistes. Il a énuméré une longue liste de victimes du régime libéral dans les vingt dernières années.
Puis il a parlé de la façon dont les députés de notre fraction à la Douma se battent pour le vote de défiance à la composition actuelle du gouvernement libéral de Medvedev pour lequel ils ont déjà recueilli 100 signatures de députés de la Douma d’Etat. Mais ces votes ne sont pas encore suffisants pour faire démissionner les ministres capitalistes. Cela nécessite un large soutien populaire.
Mais dernièrement, le projet de loi du Parti communiste sur la fiscalité progressive à la Douma a remporté plus de 200 suffrages, pour le projet de loi sur le contrôle des prix – 208 et pour le projet de loi « Sur les enfants de la guerre» – 206. « Nous continuerons à saper l’union sacrée de Russie Unie » – a promis Sergueï Pavlovitch.
« Le temps des libéraux est terminé. Le libéralisme déshumanise l’homme. Quand à nos rassemblements viendront non pas des milliers, mais des dizaines et des centaines de milliers de personnes, alors nous chasserons les libéraux du gouvernement, « – dit Oboukhov.
Selon l’orateur suivant – le chef du groupe parlementaire du Parti communiste à la Douma de Moscou Klytchkov, habitants de Moscou en raison de la crise ont vu diviser leur pouvoir d’achat par deux ou par quatre. Dans un proche avenir, le taux de chômage dans la capitale russe atteindra un million de personnes. Le processus de destruction des systèmes de santé et d’éducation est en route.
Ensuite, les participants au meeting ont lancé dans le ciel des ballons noirs avec les effigies de Dmitri Medvedev et Alexei Navalny. VR Rodine a dit que les ballons noirs symbolisaient le dépérissement. « Alexei Navalny » a eu de la peine à s’élever du sol et s’est coincé dans les arbres, mais « Dmitri Medvedev » a grimpé de façon spectaculaire vers le ciel sous les acclamations des manifestants et a été emporté dans la direction de Barvikha (quartiers chic).
Les participants de la réunion ont voté à l’unanimité pour la résolution, lue par V.R.Rodin.
«Nous croyons que le pays a besoin d’un changement de politique économique et politique, il nous faut un fort virage à gauche. Nous soutenons le programme anti-crise du Parti communiste et exigeons son adoption comme un document qui offre le paquet nécessaire des mesures pour sortir le pays de la crise. Pour sa mise en œuvre doit être mis en place un gouvernement de coalition de confiance nationale servant les intérêts nationaux. »
Résumons : des élections libres, entachées de fraudes en 2011 mais normales et incontestées en 2012 lors de la réélection de Vladimir Poutine ; un Parlement comprenant un parti majoritaire et trois partis d’opposition ; une liberté d’expression qui se vérifie dans la presse écrite où l’on trouve des journaux libéraux, communistes, centristes… ; la liberté de se réunir et de manifester attestée par les manifestations de 2011 et par celles du 1er mars : malgré le harcèlement des militants de l’opposition extraparlementaire et les procès douteux dont ils font l’objet, malgré la fraude électorale de 2011 (qui porta gravement préjudice au Parti communiste) et le conformisme des médias télévisés, malgré les opérations d’intimidation lancées contre certains ONG, la Fédération de Russie me semble répondre nettement mieux que la Chine (2) aux critères de la démocratie : souveraineté populaire concrétisée par des élections au suffrage universel ; existence des libertés publiques. La Russie est une démocratie très imparfaite, marquée comme tant d’autres par l’autoritarisme, la corruption et la bureaucratie, mais c’est tromper l’opinion publique que de la décrire comme une autocratie.
***
(2) Il est pertinent de comparer l’évolution de deux grandes puissances qui sont sorties plus ou moins récemment du totalitarisme.
Camarade Renouvin, vous êtes extraordinaire :
Vous louez la Russie pour être une démocratie plus aboutie que la chinoise (qui est dirigée sans partage par le PC chinois) mais vous regrettez l’éloignement du pouvoir du PC russe, expert en démocratie comme chacun sait.
Mékéqtudis papy ????