Candidat à la présidence de la République, Jean-Luc Mélenchon a tenu sa première grande réunion publique dans la rue le 5 juin. La réussite de cette journée vient conforter de grands espoirs nourris par la conjoncture : l’échec du quinquennat est patent, le Parti socialiste agonise et une recomposition de la gauche est devenue inévitable dans notre France secouée par le mouvement de résistance à l’ultra-libéralisme qui se concentre depuis trois mois sur le rejet de la loi El Khomri. L’an prochain, une surprise est possible qui nous placerait dans une situation tout autre que celle créée par la joute entre le Front national et les partis oligarchiques. Jean-Luc Mélenchon est-il l’homme de cette situation ?
Sa déclaration de candidature fut à la fois paradoxale et rigoureuse. Paradoxale parce que Jean-Luc Mélenchon, héros de la gauche radicale, a repris la démarche gaullienne de l’homme qui se présente devant la nation, en dehors des partis. Rigoureuse parce que tel est bien l’esprit des institutions de la Ve République, conçue en 1962 comme une monarchie élective donnant au chef de l’État sa légitimité démocratique.
Son programme en sept points soumis à la discussion exprime une nette volonté de rupture. Jean-Luc Mélenchon veut abattre l’oligarchie financière, partager les richesses, sortir des traités européens, libérer la France de la tutelle américaine, réorienter les activités de notre collectivité nationale par la planification écologique… Ces intentions méritent d’être précisées mais il est évident que la réalisation de ce programme suppose une formidable volonté politique. Celle de Jean-Luc Mélenchon est manifeste mais l’homme d’État qu’il veut devenir doit s’appuyer sur des institutions solidement établies ou rétablies. Or le projet constitutionnel du candidat manque à tous égards de pertinence.
Fidèle à lui-même, Jean-Luc Mélenchon annonce une VIe République : « Je voudrais être le dernier président de la Ve République et rentrer chez moi sitôt qu’une Assemblée constituante, élue pour changer de fond en comble la Constitution, ait aboli la monarchie présidentielle et restauré le pouvoir de l’initiative populaire. » La destruction de notre Constitution est donc le seul objectif de Jean-Luc Mélenchon puisqu’il rentrera chez lui après l’élection d’une Constituante. D’autres, dans de nouvelles institutions, se chargeront d’opérer les ruptures annoncées. Jean-Luc Mélenchon veut donc créer un vide au sommet de l’État et ouvrir une période d’incertitudes majeures car rien ne dit que l’Assemblée constituante établira une République conforme au programme mélenchonien – à moins bien sûr que le Parti de gauche y dispose de la majorité absolue.
Admettons l’hypothèse d’une Constituante décidée à réaliser le programme du Front de gauche en 2012. On s’apercevra alors que ses proclamations masquent un invraisemblable bricolage juridique. Les droits sociaux proclamés sont déjà inscrits dans le Préambule de 1946 ou peuvent faire l’objet d’un autre préambule constitutionnel. Quant aux dispositions institutionnelles, elles définissent déjà la Ve République – nous ne sommes pas en régime présidentiel mais en régime parlementaire puisque le gouvernement est responsable devant le Parlement – ou elles peuvent faire l’objet d’une réforme de la Constitution de 1958 : réforme du Sénat, choix de la proportionnelle, réforme du Conseil supérieur de la magistrature… Enfin, il n’est pas nécessaire de réduire les pouvoirs du président de la République puisque ceux-ci sont strictement définis par l’article 5 de la Constitution : il veille au respect de la Constitution, il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État, il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.
Somme toute, Jean-Luc Mélenchon a la berlue : il confond la lettre et l’esprit de la Constitution avec ses dérives : la « gouvernance » oligarchique s’est substituée à la République – les intérêts d’une caste ont effacé le souci de l’intérêt général – et le président de la République est devenu le véritable chef du gouvernement selon la logique du quinquennat aggravée par le fait que les élections législatives ont lieu immédiatement après l’élection présidentielle. Inventée à partir de jugements erronés sur nos institutions, la « VIe République » est une fiction qui détruit la crédibilité du programme économique et social de Jean-Luc Mélenchon. Est-il capable, sur ce point essentiel, d’une nouvelle réflexion ?
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Editorial du numéro 1103 de « Royaliste » – 2016
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