Le texte de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur a été publié le 12 décembre. Les opposants sincères à sa ratification par le Conseil européen devraient mettre au premier plan, parmi les motifs de rejet, l’impasse totalement irresponsable qui a été faite sur la question monétaire tout au long des négociations.

Avant même la Victoire, les Alliés s’étaient réunis pour instituer un système monétaire et financier permettant le développement du commerce international. Les accords conclus à Bretton Woods en juillet 1944 sont critiquables mais ils ont cependant établi un système de changes fixes et créé des institutions (Banque mondiale et Fonds monétaire international) vouées à la reconstruction et au développement (1). Les questions relatives à l’organisation du commerce international ont été traitées trois ans plus tard à La Havane. Les Etats-Unis se sont ensuite ingéniés à enterrer la charte signée en mars 1948 mais retenons ici la chronologie : d’abord la monnaie, ensuite le commerce. Et n’oublions pas que la Déclaration de Philadelphie portant sur l’Organisation internationale du travail et affirmant que “le travail n’est pas une marchandise” a été signée le 10 mai 1944, en préalable à toutes les autres négociations organisées sous l’égide de l’ONU.

Nous sommes aujourd’hui dans un système de changes flottants et rien n’empêche un pays du Mercosur de dévaluer soudain sa monnaie pour favoriser ses exportations vers l’Union européenne, dont la politique de change a été abandonnée à la Banque centrale européenne qui ne s’en préoccupe pas. Il est indispensable qu’un débat sur ce point s’engage au sein du Conseil européen et favorise le blocage de l’accord. En attendant, il est hautement souhaitable que la Confédération paysanne et la Coordination rurale maintiennent leurs manifestations et leur dénonciation du libre-échange, malgré la violente répression policière ordonnée par Bruno Retailleau, champion de la fameuse “droite des valeurs”.

Il serait salutaire que le mouvement déclenché par la paysannerie protestataire soit repris et amplifié par les confédérations ouvrières. Directement visée par les stratégies agressives des Etats-Unis et de la Chine, qui se servent de l’arme monétaire et subventionnent massivement leurs industries, l’Union européenne sera de plus en plus une zone à conquérir.

Cette conquête est et sera d’autant plus facile que Bruxelles et plusieurs capitales européennes y apportent, en toute méconnaissance de cause, un puissant concours. Comme on veut tout à la fois de bas salaires et un niveau tolérable de pouvoir d’achat, on privilégie les importations de biens fabriqués dans le reste du monde à faible coût. Ce furent d’abord des produits industriels mais s’y ajoutent de plus en plus de produits agricoles étrangers qui déstabilisent ou détruisent nos propres exploitations agricoles d’autant plus facilement qu’une concurrence acharnée se déroule à l’intérieur de l’Union européenne.

Cette stratégie de baisse des coûts entraîne également des importations massives de main-d’œuvre servile, source de tensions sociales et culturelles. Elle a pour effet moins visible la préférence donnée aux produits de basse qualité, qui offre aux classes paupérisées d’acheter des biens de première nécessité. Cette politique du minimum vital ne provoque pas seulement des inégalités considérables de patrimoines et de revenus. Elle nous conduit à une pure et simple société de consommation, dépendante de productions étrangères, dans laquelle une part croissante de la population vivra de salaires tirés d’activités faiblement productives – voire parasitaires – dans les services, et d’aides sociales massivement distribuées pour empêcher l’explosion sociale. Laissées sans défense face à la concurrence extérieure, les entreprises nationales seront autant que possible maintenues à flot par des subventions étatiques.

Nous constatons en ce moment que ce laisser-faire est désastreux pour les finances publiques et nous devinons sans peine qu’il aura des conséquences insoutenables dans les prochaines décennies. On répète sur tous les tons que le poids de la dette pèsera lourd sur les épaules de nos enfants et nos petits-enfants. Ce n’est pas vrai. La dette publique peut être financée ou résorbée par divers moyens qui n’accableront pas nos héritiers. En revanche, si nous ne changeons pas radicalement de politique, nos enfants et nos petits-enfants seront confrontés à la masse colossale de dépenses qu’il faudra consentir pour compenser les effets du néolibéralisme : maladies engendrées par la mauvaise alimentation et la pollution, pathologies provoquées par l’organisation anxiogène du travail, modicité inacceptable des retraites de travailleurs astreints tout au long de leur vie professionnelle aux emplois précaires et aux longues périodes de chômage – sans oublier les dégâts induits par nos innombrables insuffisances face au réchauffement climatique.

Les replâtrages successifs de la gouvernance oligarchique visent à seulement retarder d’inéluctables échéances. C’est dérisoire. Et tragique.

***

1/ Cf. sur notre chaîne YouTube mon entretien avec Frédéric Farah sur l’impensé monétaire dans les relations commerciales internationales.

Editorial du numéro 1290 de « Royaliste » – 16 décembre 2024

 

 

 

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3 Commentaires

  1. Kardaillac

    Vous dites que « la dette publique peut être financée ou résorbée par divers moyens qui n’accableront pas nos héritiers ».
    Je vous écoute, Monsieur Renouvin, avec toute mon attention.

    • Bertrand Renouvin

      Merci pour votre attention. Vous trouverez sur ce blog plusieurs articles sur la dette publique.

      • Kardaillac

        Obéissant, j’ai appelé en recherche les articles de ce blog sur la « dette publique ».

        Si le vrai rapport est bien celui du service de la dette mesuré à la production de richesses du pays, il est vrai que les pourcentages sont moins effrayants. Reste quand même dans un pays sans rente que claquer autant d’argent pour rémunérer ses prêteurs qu’il en dépense pour l’éducation des masses, pose problème dans plusieurs champs moraux.
        Et être pendu aux notes des agences de notations, parfaitement légitimes à informer leurs abonnés sur le risque pays, n’est pas non plus un parangon de souveraineté.

        Où ça coince, c’est dans le procédé de remboursement progressif du principal par la dévaluation de la monnaie. Revenir au franc c’est miser sur une piastre sans valeur adossée aux trois déficits structurels du pays, déficit budgétaire primaire, déficit commercial, déficit des caisses sociales.

        Le franc nouveau ne vaudra rien. Combien faudra-t-il de temps pour échanger une monnaie de singe contre du bon argent avec lequel on pourra acheter quelque chose ? Juste pour info, dans mon ancien travail, au temps béni du franc français, tous les frais de mise à FOB navire et les frets maritimes sur l’Afrique francophone étaient déjà cotés en marc allemand depuis Le Havre ou Dunkerque. Pourtant les transits étaient bien moins longs que vers l’Asie du sud-est par le Canal qui étaient valorisés, eux, en dollars ; mais personne ne voulait prendre le risque d’un mauvais week-end avec une dévaluation surprise du franc français. Les capacités financières de la France étaient moins dégradées qu’aujourd’hui : nous achetons maintenant l’argent au même prix que la Grèce. Imaginez que la protection de l’euro tombe.

        Quant à se passer des prêteurs en mettant la Banque de France sous le régime des prises en pension forcées, demandons-nous pourquoi – comme vous le notez bien – les gouvernements de gauche y ont renoncé. Ce n’est pas par caprice. C’est technique.

        En conclusion, vous passez la dette publique aux générations montantes avec pour seuls outils de régulation une dévaluation sévère de la monnaie légale. Bannie par les cambistes, elle finira par ne plus être acceptée dans les échanges du quotidien même si les fonctionnaires seront erncore payés en francs. Cela s’appelait avant des assignats. Mécaniquement, le service de la dette aura rapidement doublé sans prix butoir, annihilant tout projet d’investissement de fonds. Sacré cadeau qu’on leur fait !

        Un dernier point : dette, intérêts, déficits sont des chiffres, produits par la comptabilité publique. Vous n’en citez pas.