Madame la Présidente,
Vous voulez être élue à la présidence de la République et favoriser la formation d’un gouvernement d’union nationale. Je prends votre ambition très au sérieux et je veux faire l’hypothèse de votre victoire en 2017 : accablés par la déflation, indignés par les révélations sur la corruption de l’oligarchie, sans illusions sur une Europe ravagée par la crise, bien des Français pourraient s’en remettre à vous… Que peut-il dès lors se passer ?
L’élection à la Présidence transforme l’élu : le chef de parti devient le président de tous les Français, en raison de la légitimité démocratique donnée par le suffrage universel. Si le chef de l’Etat demeure un partisan ou le représentant d’intérêts particuliers, sa légitimité, vous le savez, s’érode rapidement… La mutation de la présidente du Front national en présidente de tous les Français sera très difficile – même si vous donnez toutes les preuves de votre bonne volonté. Le jour de votre élection, il ne sera plus question de votre programme politique : vous affronterez tout un imaginaire composé à partir des images de l’extrême-droite des années trente, des déclarations de Jean-Marie Le Pen, de vos propres discours de stigmatisation et d’exclusion. Vous qui avez exploité des peurs, vous vous trouverez confrontée à d’autres peurs qui provoqueront une flambée de haine que vos adversaires attiseront. Il en résultera une division profonde, génératrice de violence. Dans vos discours, vous pouvez affirmer que vous êtes l’expression du Peuple tout entier mais vous savez très bien qu’un peuple n’est jamais unanime. Les opposants au général de Gaulle étaient nombreux et virulents – votre père en faisait partie – et c’est seulement dans les monarchies royales que le peuple peut, presque unanime, se retrouver autour d’un pouvoir effectivement incarné…
Comme vos prédécesseurs, vous serez donc l’élue des uns contre les autres et c’est dans un climat d’extrême tension que les élections législatives se dérouleront. Le Front national peut-il les remporter ? En ce cas, la peur sera encore plus grande et la menace de confrontation violente s’en trouvera décuplée. Il est probable cependant que la peur provoquera une brutale réaction électorale : le Front national et ses éventuels alliés seront battus par les partis classiques et le gouvernement issu de la majorité parlementaire sera l’émanation de tout ce que vous avez récusé. Vous aurez donc le choix entre la soumission et la démission : dans les deux cas, vos militants et vos électeurs éprouveront une immense colère et la France sera exposée à une poussée d’extrémisme.
De succès en succès, vous vous engagez donc dans une série d’impasses. Si vous êtes élue sur votre programme actuel, contre tous les autres partis, vous ne resterez pas longtemps à l’Elysée. Si le Front national passe des accords avec l’UMP pour remporter les législatives, on vous accusera de pactiser avec les oligarques de droite et vous subirez un rapide discrédit. Vous pouvez aussi rêver de domestiquer l’UMP, mais en ce cas c’est une bonne partie de l’électorat de droite qui vous fera défaut.
Ces hypothèses sont sommaires mais toutes les habiletés tactiques et tous les ralliements que vous pouvez espérer se heurteront à un obstacle incontournable qui se trouve, je vous l’ai dit, dans l’imaginaire. Alors, que pouvez-vous faire ? Je vais vous donner l’avis que vous ne m’avez pas demandé et que vous ne suivrez probablement pas parce qu’il vous place devant une alternative redoutable :
Ou bien vous vous contentez d’être la « rentière du malheur » et vous arrondissez votre capital électoral en troublant la vie politique sans sortir d’une marginalité qui ne vous permet pas de servir la France et les Français.
Ou bien vous vous préparez à devenir chef de l’Etat et vous transformez votre parti nationaliste en rassemblement patriotique. Vous savez très bien que c’est la solution de votre problème, puisque vous avez créé le Rassemblement Bleu Marine – mais ce n’est là qu’une structure d’accueil pour les ralliés à la cause frontiste. Il faudrait donc décider une opération en profondeur, un peu douloureuse mais finalement salutaire. Laquelle ?
Sans me vanter, j’ai une expérience en ce domaine. Ma jeunesse fut maurrassienne et je me suis heurté à toutes les impasses de cette idéologie et du nationalisme que professait l’Action française. Avec mes amis, j’ai été conduit à une rupture intellectuelle et politique qui nous a permis de renouer avec une authentique fidélité royaliste inscrite dans le principe de la République – la Res publica, le Bien commun – et vécue dans l’amour discret mais fervent de la patrie. A l’opposé du nationalisme qui se donne toujours un ennemi intérieur et un ennemi extérieur, le patriotisme est ouvert sur le monde et acquis à l’idée d’un rassemblement des Français qui soit le plus large possible. Dans votre parti, le passage du nationalisme au patriotisme est intellectuellement facile car l’idéologie y est faible mais la mutation serait difficile à admettre par nombre de vos militants. Dès lors, la tentation est forte de maintenir un équilibre entre les tendances mais cette position conservatrice, compréhensible chez un chef de parti, n’est pas tenable quand on veut devenir chef d’Etat dans quatre ans.
La crise est de plus en plus dure à vivre. Le temps presse. C’est maintenant qu’il faut que le partisan se transforme en recours pour toute la nation : cela vaut pour vous, comme pour Jean-Luc Mélenchon, comme pour tout dirigeant de droite ou de gauche qui voudrait abandonner sa carrière pour remplir la plus éminente des fonctions politiques.
Pour se préparer, il faut assumer toute l’histoire de France autrement que par des discours : il faut montrer dans l’organisation même du rassemblement que des Français de toutes nos traditions politiques et spirituelles sont conviés à l’œuvre commune. Cela suppose que l’on cesse de désigner des ennemis de l’intérieur qui enflamment certaines imaginations mais qui dispersent les efforts. Vous vous présentez en adversaire implacable de l’oligarchie mais vous attisez les polémiques « identitaires » sans vouloir comprendre que la droite – nous l’avons vu avec Nicolas Sarkozy – reprend ces thématiques pour vous doubler mais aussi et surtout parce que les discours sur l’immigration et l’islam font oublier les enjeux économiques et monétaires. En vous écoutant l’année dernière, j’imaginais une manifestation de salariés contre une fermeture d’usine qui se diviserait tout à coup en deux groupes : ceux qui mangent halal et ceux qui mangent du saucisson. Stupide, n’est-ce pas ? C’est seulement après la sortie de l’euro, le redressement de l’économie nationale et la hausse des salaires que le gouvernement pourra définir une politique de l’immigration.
Il faut aussi se préparer à prendre en charge la politique étrangère, ce qui implique l’abandon du discours xénophobe et des prises de parti dans le domaine religieux. Vous annoncez dans votre livre une politique d’alliance avec la Russie en oubliant que plusieurs républiques comptent de nombreux citoyens musulmans et sans préciser que la première mesure concrète de rapprochement entre la France et la Russie, c’est la suppression des visas ! Vous évoquez la « politique arabe » de la France – en citant les relations entre François Ier et Soliman le Magnifique, ce qui est tout de même un peu fort de café… turc – et vous croyez vraiment que les chefs d’Etat des nations concernées accueilleront favorablement celle qui stigmatise certains groupes de citoyens et d’immigrés en raison de leurs origines et de leurs croyances ? Vous faites semblant d’ignorer que l’intervention de l’armée française au Mali permet de protéger la population musulmane contre les djihadistes. Notre laïcité nous permet de conforter un système d’alliance qui ne doit pas s’embarrasser de considérations idéologiques ou religieuses.
Il ne s’agit pas, bien entendu, de sous-estimer les islamistes. Les services de renseignement et la police nationale se chargent des tâches quotidiennes de surveillance et de répression des menées illégales. Quant à l’intervention de militants religieux dans le champ politique, elle se constate très simplement par l’apparition de partis et de mouvements politiques confessionnels – faciles à interdire s’ils ne respectent pas les lois.
En affirmant que l’abandon du nationalisme est la condition première de votre élection à la Présidence, je ne cherche pas à jouer les conseilleurs : s’adresser à celles et ceux qui pourraient devenir chef de l’Etat, c’est simplement faire son devoir de citoyen. Témoin de plusieurs occasions manquées, à droite et à gauche, je reste persuadé qu’il faut tout tenter pour éviter le chaos politique. Cependant, j’écris sans me bercer d’illusions car tous les dirigeants politiques estiment qu’il est inutile d’accomplir une révolution en soi-même et dans son propre parti pour accéder au pouvoir et l’exercer durablement pour le bien du pays.
En vous saluant, Madame la Présidente, je vous rappelle qu’un chef d’Etat se définit très simplement : c’est quelqu’un qui est capable de prendre des risques, à commencer par le risque suprême.
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Très forte et intelligente perche tendue, qui ne cède rien, sur le fond.
Rappel pessimiste . J.P. Chevènement, le républicain, capable de parler aux deux rives, ne sut pas en 2001/2002 se dépouiller du « vieil homme » socialiste et devenir l’Homme de la Nation.
Alors Marine Le Pen ? De là où vient le courant qui la porte?
J’avoue mon scepticisme de vieux gaulliste.
Mais encore ? Restons et circonspects et attentifs.
« On peut être grand sans beaucoup de moyens.
Il suffit d’être à la hauteur de l’histoire ».
C. de Gaulle
On ne peut exclure que la logique des institutions de la Vè prévale même dans le cas de l’élection présidentielle de 2017 de Marine Le Pen et lui donne une majorité parlementaire en raison du discrédit du pouvoir socialiste du à sa politique néolibérale et de la droite parlementaire UMP empêtrée dans ses querelles internes, ses divisions, donc sans crédibilité. En conséquence l’UMP se diviserait et une partie non négligeable peut rejoindre la nouvelle majorité on pourrait assister à un scénario de type 1958 ou 1981 avec lamination de la représentation des forces de gauche comme en 1993.