« Libéral » : le sens d’une injure

Nov 2, 2003 | Res Publica

Dans Commentaire (1), Philippe Raynaud se plaint que la France ait « un triste privilège : celui d’être le seul pays où « libéral » est, à gauche, une injure ».

L’observation est pertinente mais gagne à être généralisée : « libéral » figure aussi dans le dictionnaire des injures qu’utilise la droite nationaliste autoritaire et pas mal de citoyens modérés.

Cela dit, ma consternation est encore plus vive que celle exprimée par Philippe Raynaud. Nous sommes en effet les héritiers directs des monarchiens et des monarchistes libéraux, bons lecteurs de Montesquieu, qui furent les premiers auteurs de la Révolution française : la Déclaration des droits de l’homme, la Nuit du 4 Août et la constitution de 1791 portent leur empreinte majeure (2). Et notre conception institutionnelle se situe dans la droite ligne de la monarchie parlementaire du 19ème siècle qui a trouvé son prolongement dans la monarchie élective gaullienne. Le libéralisme politique fait partie de nos principes fondamentaux, qui sont à l’œuvre dans toutes les monarchies démocratiques européennes.

Nous devrions donc nous définir comme un mouvement monarchiste libéral, afin d’indiquer par ce seul mot la distance abyssale qui nous sépare des nationalistes et autres jacobins blancs. Hélas, il nous est aujourd’hui impossible d’évoquer notre filiation sans multiplier les précautions et les références car la plupart de ceux qui se réclament de la pensée libérale ont opéré un amalgame entre le libéralisme politique et le libéralisme économique. Pire : la pensée économique libérale a été durcie et réduite à quelques préceptes grossiers qui alimentent les prestations radio-télévisés d’experts douteux.

Cet ultra-libéralisme qui insulte la pensée économique a des conséquences désastreuses pour les peuples et les nations. « Libéral » est devenu une injure parce que le mot fait référence à cette idéologie dévoyée et aux pratiques qu’elle recouvre.

Comme Philippe Raynaud regrette qu’on ne puisse appliquer à la France la « thérapie de choc » proposée les ultras de son camp, je me permets de préciser la signification de l’injure qui leur est adressée par quelques millions de citoyens de droite et de gauche.

Par la faute des libéraux, « libéral » est devenu synonyme de menteur, de corrompu, de destructeur.

Qu’on ne hurle pas au populisme. Dans son article, Philippe Raynaud souligne d’ailleurs la duplicité de la gauche qui, depuis vingt ans, masque sa pratique ultralibérale sous un verbiage socialiste et européen. La droite fait de même en évoquant hypocritement la « réforme » même si certains se réjouissent par écrit des mensonges qui ont facilité la « révolution libérale » (3).

Ce bouleversement économique et social a donc été imposé à un peuple qui était majoritairement hostile aux recettes ultra-libérales et qui continue d’y résister. Présentée comme un sacrifice nécessaire par le groupe des profiteurs et des privilégiés, cette contrainte est ressentie comme un attentat contre la démocratie. N’est-il pas rendu manifeste par le refus, depuis 1991, de tout referendum sur la question européenne ?

Je n’ignore pas que, dans toute l’Europe, les « thérapies de choc » sont conçues et exécutées pour le bien des gens. L’ennui, c’est que les classes moyennes et populaires – et de plus en plus de cadres supérieurs – constatent que les remèdes sont pires que les maux supposés. On vivait mieux au temps de l’inflation, du grand secteur public et nationalisé et de l’Etat providence que sous la férule des libéraux-sociaux et des socio-libéraux qui pratiquent la gouvernance alternée.

Je ne suis pas de ceux qui voient dans les « trente glorieuses » un paradis perdu, mais il est évident que le programme ultra-libéral aboutit à la ruine de secteurs entiers de l’activité industrielle et commerciale et à la destruction progressive des systèmes de protection sociale.

Les insultes qui fusent expriment l’immense colère d’un peuple appauvrit et angoissé, qu’on humilie en lui reprochant sa prétendue paresse et qu’on prive d’avenir. Si c’est pour son bien, qu’on le lui prouve.

***

(1) Cf. Philippe Raynaud, « Métamorphoses du mal français », revue Commentaire, n° 103, automne 2003. Plon.

(2) Précisions et nuances dans Le royalisme, histoire et actualité, Economica, 1997.

(3) Par exemple Gilles de Margerie, in Roger Fauroux et alii, Notre Etat, Robert Laffont 2001.

Editorial du numéro 825 de « Royaliste »- 2003

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