Dans Marianne, Jacques Julliard, effrayé par la désindustrialisation de notre pays et par la perte de son influence diplomatique, en appelle au « redressement français » (1). J’approuve le mot d’ordre et la manière dont il est lancé. Refuser de se déclarer pour ou contre François Hollande, de droite ou de gauche, social-démocrate ou social-libéral, mais affirmer haut et clair : « je suis pour le redressement français » !

Tel est bien le critère qui permet de juger les actes politiques du gouvernement et les projets des différents partis. Telle est, ici, notre ligne : nous avons appelé à voter pour François Hollande, nous ne cessons de critiquer ses renoncements économiques, sociaux et diplomatiques, mais nous serons avec le président de la République dès qu’il mettra en œuvre la politique du redressement français – « qui n’est pas qu’industriel, mais aussi social et moral », dit avec raison Jacques Julliard. Comme il consacre une grande partie de son éditorial aux conditions du redressement industriel, je vais le suivre sur ce terrain pour préciser mes points d’accord et de désaccord.

Accord pour nationaliser les banques – toutes les banques et non pas « des banques ». Le milieu financier a pris une telle influence sur le pouvoir politique, sa rapacité et ses spéculations sontsi dangereuses pour la nation et ses restrictions de crédit tellement meurtrières pour les entreprises qu’il faut nationaliser l’ensemble du système bancaire afin qu’il soit obligé de financer les entreprises et d’accorder des crédits aux particuliers à des taux raisonnables – sans plus jamais se livrer aux spéculations et manipulations dont les Etats et les peuples sont aujourd’hui les victimes.

Quant à la nationalisation de secteurs industriels, je partage le souci de Jacques Julliard, qui ne veut pas que l’Etat soit entraîné dans le financement à perte d’industries archaïques, mais je ne vois pas comment une grande nation industrielle pourrait se passer d’une sidérurgie rationalisée et modernisée – entre autres secteurs qu’il faut replacer sous contrôle public. Tout en rappelant que les grands programmes industriels de l’époque gaullienne ont été lancés dans le cadre de la planification indicative que les socialistes, après 1981, ont laissé dépérir au lieu de la démocratiser, je voudrais insister sur deux conditions déterminantes du redressement français que Jacques Julliard ne semble pas vouloir prendre en considération.

La France doit sortir de l’euro. La débâcle industrielle de la France a commencé en 2001, non en 2008, à cause de la concurrence par les bas salaires de certains de nos partenaires européens, à cause de l’appréciation de l’euro sur le marché des changes. Il faut que la France retrouve sa souveraineté monétaire, renationalise sa banque centrale et décide une dévaluation de combat (25{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}) afin d’engager la reconquête industrielle tout en créant un nouveau rapport de forces avec l’Allemagne : Angela Merkel mène une politique conforme aux intérêts allemands, elle ne devrait pas s’étonner que nous défendions nos intérêts nationaux. Cependant, la sortie de l’euro est une condition nécessaire mais pas suffisante.

La France doit organiser la protection de son économie puisque l’Union européenne n’ose pas envisager un protectionnisme européen, raisonné donc sélectif, qui lui serait salutaire. La cause première de la crise, c’est le libre échange qui encourage les concurrences les plus agressives et les plus déloyales et qui conduit les Etats à prendre des mesures antisociales de plus en plus dures. Il n’y aura pas de redressement français possible sans un protectionnisme qui n’exclut nullement les opérations concertées avec certains de nos partenaires, en vue de la réorganisation économique du continent européen.

Car telle devrait être, selon sa tradition, l’ambition de la France quand elle aura retrouvé la voie du développement économique et du progrès social : participer à la conception et à la réalisation de la grande Europe, de l’Atlantique à l’Oural – et bien au-delà.

***

(1)Cf. Marianne, 15-21 décembre 2012. Jacques Julliard cite ma réplique à Anne Lauvergeon dans Royaliste du 10 décembre.

(2)Cf. Jacques Sapir, “Et si le problème de l’industrie c’était… l’Euro ?” http://russeurope.hypotheses.org/472

Editorial du numéro 1026 de « Royaliste – 2013

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1 Commentaire

  1. vaclav olmac

    C’était le premier janvier d’une nouvelle année. Je faisais retour vers le passé, je méditais les occasions perdues, et l’idée d’un post sans concession m’est venue. Il fallait coucher sur le papier ce qui restait en travers de la gorge. Il aurait pu prendre la forme suivante :

    « Cela fait un moment que je vous égratigne. Et je pourrais continuer comme ça pendant des heures et des heures. Tellement que je pourrais même créer un anti-blog de Bertrand Renouvin. Pourquoi ? Parce que je vous en veux. Je vous en veux d’avoir conduit une partie du royalisme français vers une impasse totale. Et pas n’importe quelle partie du royalisme, mais probablement la plus consciente, la plus critique, la plus prometteuse. Vous vous êtes engouffré dans une voie sans issue, tout comme ces archéoroyalistes que vous aviez quittés en fondant la NAF. Singulier mimétisme, mais à la réflexion, pas si étrange que cela.

    D’autres chemins étaient possibles, d’autres métamorphoses pouvaient se dessiner, mais, c’est vrai, l’héritage et l’environnement idéologique étaient particulièrement lourds. Formaté par le maurrassisme, marqué par le gauchisme, converti au gaullo-communisme, vous pouviez difficilement mener le royalisme hors de l’enfermement sectaire où vous l’aviez trouvé pour le ramener à son milieu naturel. Le dénivelé de la pente était trop important. Aucun retour en arrière, au lieu même de la bifurcation, n’était possible en dépit de méritoires efforts de dialogue et de curiosité devenus bien maigres au fil du temps. L’imprégnation des pensées totalisantes et holistes l’a finalement emporté sur vos incursions furtives dans la philosophie des droits.

    Vous avez donc échoué le navire néo-royaliste à la gauche de la gauche. Et ceci dans l’incompréhension générale de vos amis comme de vos détracteurs, ce qui ne pouvait favoriser que l’hémorragie des troupes, même des plus motivées. Par un de ces effets sinueux et paradoxaux dont l’histoire politique a le secret, et aussi grâce à votre acharnement personnel proche de l’aveuglement volontaire, le néo-royalisme a rejoint la galaxie réelle ou virtuelle des astres mort-nés de la politique au même titre que le maoisme chrétien, l’anarcho-salazarisme ou le saint simonisme bolivarien.

    L’ancrage naturel du royalisme se place au centre-droit de l’échiquier politique. Ceci en conformité avec son évolution libérale universelle. C’est là que le néo-royalisme aurait gagné en cohérence et en audience. Vous auriez pu alors devenir un leader modéré, compris, identifié, fiable, intégré dans le jeu politique voire une source d’inspiration pour la droite française. Au lieu de cela qu’êtes-vous devenu ? La plupart des observateurs se le demandent, quand ils se le demandent. Pour la presse, vous êtes un OVNI et les OVNI ne sont que des points d’interrogation, de la non-substance, une sorte d’antimatière, entre existence et non-existence, pire que la mort.

    Mais la presse française est paresseuse et ne pousse pas très loin ses analyses. De mon côté, j’esquisse une réponse : vous êtes devenu le théoricien français de la monarchie communiste nord-coréenne. Bien sûr, vous allez nier et récuser mais votre monarchisme présidentialiste, associé à vos prises de position en faveur d’une économie largement nationalisée et administrée assurant le plein emploi par décret et sous haut protectionnisme, contient en puissance un ersatz franchouillard du système nord-coréen. Le plus triste, c’est que je ne plaisante pas. D’ailleurs un avenir possible se profile pour le chef du néo-royalisme : conseiller politique de M. Mélenchon. Mais même pas sûr, car, à vous lire, s’il n’y a que la querelle de l’euro qui vous sépare, ceci vous place sur une ligne encore plus rigide et extrémiste que le président du Front de gauche. Aux dernières nouvelles, Pyongyang devrait monter une médiation.
    Et puis il y a d’autres symptômes : votre nostalgie soviétique étalée à longueur de colonnes, votre mansuétude pour ne pas dire plus vis-à-vis du régime autocratique russe, de son économie rentière et bureaucratique, votre hystérie anti-OTAN, et j’en passe. Ҫa en devient même suspect.

    Mais là je m’emporte et je dérape et je ne devrais pas car au bout du compte vous aurez accompli votre mission historique qui a consisté à liquider toute forme de militantisme royaliste un tant soit peu sorti du paléolithique vu que je suis maintenant convaincu que l’idée royale n’aura d’avenir en France qu’après la disparition totale des royalistes. »

    Voilà, j’aurais pu écrire mon post comme cela mais finalement je me suis abstenu. A quoi bon ? C’est probablement juste un courrier des lecteurs que le journal s’est adressé à lui-même. Ce serait toutefois amusant de faire un bouquin sur le mimétisme ou la reproduction en politique.