L’inflation dans la lutte des classes

Mai 20, 2022 | la lutte des classes

 

Le mouvement de hausse des prix aggrave la situation matérielle de nombreux citoyens. Les mesures anti-inflationnistes annoncées en France et à l’étranger visent à différer des conflits sociaux qui ne manqueront pas d’éclater. Les réponses à l’inflation relèvent toujours d’un choix politique.

Coucou, la revoilà ! Les Français avaient oublié l’inflation depuis le succès technique de la “désinflation compétitive” mise en œuvre par la gauche en 1983. Les milieux officiels se sont bien gardés d’expliquer aux Français qu’ils avaient payé cette désinflation d’un très lourd chômage, sans que la “compétitivité” soit au rendez-vous…

Jusqu’à ces derniers mois, on tenait pour acquit qu’un faible taux d’inflation – pas plus de 2% – était une bonne chose. Puis la reprise de l’activité économique mondiale s’est traduite par de fortes hausse de prix. En 2021, l’inflation atteignait 7% aux Etats-Unis, 3% en Allemagne et 2,8% en France et le mouvement s’est accéléré depuis le début de l’année : + 8,5% sur un an aux Etats-Unis et + 7,3% en Allemagne en mars, près de 5% en France.

Tout le monde constate que cette inflation rogne le pouvoir d’achat et que les citoyens aux revenus modestes sont durement touchés : familles monoparentales, jeunes, ouvriers et employés. Selon une récente étude évoquée par Le Figaro, il manque à ces groupes 490 euros en moyenne pour vivre normalement et ce déficit a augmenté de 23 euros en un an.

Les causes actuelles de l’inflation sont bien visibles pour la plupart : aux pénuries de produits provoquées par les arrêts ou ralentissement de production au plus fort de la crise sanitaire, s’ajoutent les tensions sur les marchés de l’énergie engendrées par la guerre russo-ukrainienne, la réduction des productions et des exportations agricoles provoquées par cette guerre et par les sécheresses qui frappent l’Europe et l’Asie. Tous ces phénomènes sont aggravés par la spéculation.

Face à la perspective d’une inflation forte et durable, il paraît logique de demander l’intervention de l’Etat. Après la Libération et jusqu’en 1982, les gouvernements ont eu recours au blocage des prix pour les produits de première nécessité. Cette mesure a de nouveau été utilisée en septembre 2021 pour le gaz et la hausse des tarifs réglementés de l’électricité a été limitée à 4%. Ce bouclier tarifaire va être prolongé, mais divers candidats demandent le blocage de certains prix alimentaires.

Le prochain gouvernement pourrait se résigner à divers blocages pour apaiser les colères mais, dans les milieux dirigeants, nul ne veut entendre parler de l’échelle mobile des salaires et des prix, mise en place par le très libéral Antoine Pinay en 1952 et supprimée par le gouvernement socialiste en 1982. On préfère aujourd’hui la politique du chèque qui consiste à donner aux ménages modestes de petites sommes pour compenser, faiblement et tardivement, la hausse du coût de la vie. Cette distribution d’aumônes, sous la forme de chèque essence ou de l’indemnité inflation de 100 euros est conçue pour éviter au maximum les hausses de salaires. Escomptant un gouvernement aux ordres, Emmanuel Macron prépare une “loi anti-inflation” qui élargirait ces actions compensatoires en créant un chèque alimentation pour les foyers modestes et les étudiants.

De telles mesures sont coûteuses – 26 milliards ont déjà été affectés aux chèques anti-inflation – mais le gouvernement préfère “acheter du temps” plutôt que de convoquer une conférence nationale interprofessionnelle sur les salaires – dont le patronat ne veut pas. Des augmentations poseraient de sérieux problèmes aux entreprises, puisque la zone euro empêche la dévaluation qui permet d’affronter la concurrence étrangère tout en rémunérant correctement la main-d’œuvre.

Dans les mois qui viennent, nous entendrons de fermes déclarations sur la lutte contre l’inflation mais nous n’oublierons pas que tout gouvernement français est soumis aux contraintes générales de la zone euro et aux décisions de la Banque centrale européenne (BCE). Cet organe parfaitement antidémocratique a été fondé sur des conceptions erronées : le lien entre inflation et quantité de monnaie, qu’il faudrait réguler par le biais des taux d’intérêt. Comme la BCE est chargée de lutter contre l’inflation – sans se soucier du chômage -, de soutenir l’activité par l’injection de monnaie et d’éviter une nouvelle crise de la dette, elle ne peut qu’échouer dans l’une ou l’autre de ses tâches et finalement dans les trois : si elle augmente les taux d’intérêt cet été, elle ralentira l’activité et creusera la dette publique dans des proportions variables selon les pays.

Ce ne sont pas des experts qui trancheront les débats monétaires mais la lutte des classes. La “désinflation compétitive” a marqué la victoire des créanciers, que l’inflation pénalise, sur les débiteurs que l’inflation avantage – et depuis 1983 les gouvernements ont toujours choisi le capitalisme financier et la bourgeoisie rentière contre les salariés. Pour obtenir, avec l’inflation, une redistribution du revenu national selon la justice sociale, il faudra inverser les rapports de force.

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Article publié dans le numéro 1235 de « Royaliste » – 23 mai 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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