Pour remédier à la crise politique déclenchée au soir du 9 juin, il faut remonter à sa cause immédiate qui est plus institutionnelle que personnelle. Depuis l’adoption du quinquennat, le président de la République défini dans sa fonction arbitrale n’a plus d’existence symbolique ni réelle. Nicolas Sarkozy se comporta en Premier ministre et chef de parti, François Hollande fut “insouverain” et l’élu de 2017 et 2022 gère un pouvoir managérial abusivement concentré.
Au-delà des polémiques et des interprétations psychologiques, il faut souligner une nouvelle fois que les institutions politiques sont des systèmes de médiation indispensables : elles contiennent la violence politique – c’est l’une des fonctions du Parlement – et elles garantissent les autres médiations (administratives, communales, syndicales, partisanes…) qui permettent de maintenir la paix civile. Emmanuel Macron n’a jamais voulu comprendre ce système vieux comme le monde : théoricien de la disruption, il n’a cessé d’agir en dynamiteur des institutions et de la société.
La dissolution est une prérogative qui permet de surmonter un blocage politique ou de trancher un débat dans le pays. Elle pouvait être mise en balance avec le recours au référendum l’an dernier, lors de la bataille des retraites. Mais elle n’était en rien justifiée par le résultat d’élections au Parlement européen, marquées par un taux d’abstention de 48% qui limite la poussée du Rassemblement national. L’auteur de la manœuvre a avoué une blessure d’orgueil et il est manifeste qu’il veut rester au centre du jeu politique : après avoir été le propagandiste en chef de la liste Renaissance, il a lancé la campagne de la majorité présidentielle le 11 juin lors d’une interminable conférence de presse.
La suite des événements a montré qu’Emmanuel Macron perdait très rapidement le contrôle de la situation générale. Des ministres furieux et des députés qui se détournent de lui. La gauche s’est rassemblée alors qu’il pariait sur la dispersion de ses forces en raison de la brièveté de la campagne. L’éclatement de la droite libérale risque surtout de profiter à Marine Le Pen en quête d’un “gouvernement d’union nationale” susceptible de faire baisser la tension dans le pays.
La crise politique – qui est une crise du Politique – accentue la déstabilisation de la société française meurtrie par de multiples violences. A l’irresponsabilité d’Emmanuel Macron qui provoque les citoyens, attise leurs conflits et insulte ses adversaires de gauche depuis l’Italie en les traitant de fous, vient s’ajouter l’irresponsabilité de partis et de syndicats qui appellent à manifester sans avoir les moyens d’empêcher les exactions groupusculaires. Invoquant la lutte contre un fascisme imaginaire, ils fabriquent ou confortent des voix pour le Rassemblement national.
Absorbés par leurs calculs et livrés à leurs pulsions, les dirigeants politiques oublient les émeutes urbaines de l’été dernier, les événements incontrôlables qui accablent Mayotte et le chaos qui a frappé la Nouvelle Calédonie. Les incendies couvent mais on y jette de l’essence tout en surveillant les sondages. Portée à ce niveau, l’irresponsabilité devient criminelle.
Comme on s’y attendait après la dégradation de la note de la France par Standard & Poor’s, la logique spéculative qui anime les marchés financiers pousse à l’augmentation du taux d’intérêt sur les obligations d’Etat. L’écart avec le taux allemand (spread) se creuse et continuera de se creuser en fonction de l’instabilité politique qui s’ajoute à la mauvaise santé économique du pays, soulignée par la baisse de la productivité. Invoquer la dure loi des marchés et leurs capacités de sanction ne convaincra que les bénéficiaires du capitalisme rentier. La plupart des citoyens y verront la preuve de la dépossession collective et de l’impuissance publique.
Quant au résultat des élections législatives, les scénarios dont on discute du matin au soir sont fragilisés par une éventuelle aggravation des violences de rue et par les réactions hypothétiques de la spéculation financière. Il est improbable qu’Emmanuel Macron réunisse par sa faconde une majorité parlementaire conforme à ses vœux. La dissolution ayant ruiné la thèse d’un quinquennat écartant la possibilité d’une cohabitation, le jeu de l’Elysée sera limité face à un Premier ministre issu d’une majorité de droite ou de gauche, mais le Jupiter entravé a les moyens de mener une guérilla qui achèvera de détruire l’Etat.
La confrontation violente entre les forces politiques conduira, dans les semaines qui suivront les élections, à un constat qu’il est déjà possible d’établir. Qu’il soit issu du Nouveau Front populaire ou plus probablement du Rassemblement national, le nouveau gouvernement sera obligé de se soumettre aux contraintes de l’Union européenne, auxquelles pourrait s’ajouter le déchaînement de la spéculation internationale. C’est alors que se poseront les questions cruciales de la reconquête de la souveraineté et de la politique économique et sociale qui en procèdera. Tout en veillant à ne rien faire ni dire qui puisse favoriser les logiques violentes, nous devons dès à présent rappeler que les bases du programme commun de la reconstruction nationale ont déjà été pensées et posées.
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Editorial du numéro 1281 de « Royaliste » – 15 juin 2024
Très lucide comme d’habitude.
« L’éclatement de la droite libérale risque surtout de profiter à Marine Le Pen en quête d’un “gouvernement d’union nationale” susceptible de faire baisser la tension dans le pays. »
Je ne crois pas pour ma part que la tension baissera avec – que Dieu nous en préserve – un gouvernement R »N ».
On se fiche de l’avenir politique de Macron… quelque soit la cohabitation elle sera tendue donc il fait ses trois ans et bonsoir. On peut imaginer une cohabitation avec lui même…. dans un sursaut de sagesse nos concitoyens écartent les extrêmes, il peut alors,se nouer une majorité non une majorité présidentielle, Macron l’a torpillé, non gouvernementale
elle est rincée, mais une majorité de gouvernement, une alliance avec la droite républicaine, avec les plus raisonnables d’une gauche cocufiée par Melenchon et sa clique. C’est jouable ce sera au député près mais c’est jouable…