Nous avons pu croire qu’un président de la République s’était envolé pour la Nouvelle Calédonie livrée au chaos. Nous voulions espérer qu’il prendrait l’exacte mesure de la tragédie pour en induire, après mûre réflexion, une politique… Hélas ! Nous avons appris que, dans l’avion du retour, Emmanuel Macron avait délaissé sa tâche éminente pour lancer à Marine Le Pen un défi. “Prêt à débattre, immédiatement” avec l’ancienne et future candidate à l’élection présidentielle, le locataire de l’Elysée voulait rejouer les débats de 2017 et 2022. Sans doute était-il sûr de pouvoir vaincre à nouveau son adversaire et de faire perdre quelques points de sondage à Jordan Bardella. Cette provocation infantile a eu la réponse qu’elle méritait, Marine Le Pen n’étant pas femme à venir “quand on la siffle”.
Emmanuel Macron est de la confrérie de ceux qui osent tout. Cette retentissante gifle politique ne l’a donc pas empêché de se livrer à une nouvelle démonstration de son talent rhétorique. Il s’agissait, lors de sa visite d’Etat en Allemagne, de prendre une hauteur historique en dénonçant le “vent mauvais” (1) du populisme qui souffle sur l’Union européenne. Nul ne s’est étonné que ce discours soit resté sans effet. Après quarante ans d’appels inopérants à la vigilance contre l’extrême droite, cette dramatisation est d’autant plus ridicule que le lanceur d’alerte de Dresde ne cesse d’enregistrer des déconvenues. Il a lancé Gabriel Attal contre Jordan Bardella en janvier sans le moindre résultat. Le récent débat entre le Premier ministre, qu’on tient pour un génie de la communication, et le lieutenant de Marine Le Pen s’est conclu par une nouvelle ascension de ce dernier dans les sondages. Le fantôme de Munich a été mobilisé par Valérie Hayer, on a évoqué les fondateurs du Front national et le patron de Renaissance a annoncé son intention de “débusquer’ le programme anti-européen du Rassemblement national – au moment même où les responsables de cette formation pactisent avec le patronat – mais le premier parti d’opposition poursuit son ascension. On s’étonne, on s’indigne et on va une fois de plus sonner le tocsin après le 9 juin en refoulant au plus profond les deux constats qui permettraient d’y voir clair.
Il est impossible de prendre au sérieux des dirigeants qui dénoncent l’illibéralisme de certains Etats et de divers partis pour la défense et la promotion d’une Union européenne qui est structurellement anti-démocratique. Le Parlement européen ne représente pas un peuple européen qui n’existe pas. La Banque centrale européenne est hors de tout contrôle comme la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission européenne n’est que la part visible des réseaux technocratiques et des groupes de pression qui prennent les décisions. Il en résulte, dans les peuples des Etats membres, des sentiments de dépossession et d’impuissance qui nourrissent toutes les colères.
Qu’on ne dise pas que “les gens n’y comprennent rien”. Il n’est pas besoin d’être un juriste spécialisé pour se souvenir que les référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas ont été délibérément effacés. La création de l’euro fut l’acte fondateur de l’oligarchie mais c’est le traité de Lisbonne qui a concrétisé en 2007 le déni de démocratie sur lequel repose l’Europe des traités. Le Rassemblement national exploite d’autant plus efficacement ce sentiment de dépossession que la fraction dominante de la gauche masque sous son “fédéralisme européen” un plat ralliement au système néolibéral. Comme la classe dirigeante veut à tout prix conserver la libre circulation des capitaux et le système de contrainte salariale mis en place par la “monnaie unique”, le populisme qu’elle récuse a de beaux jours devant lui.
Cependant, on aurait tort de penser qu’un Frexit résoudrait le double problème de la dépossession populaire et de l’extrême droite. Rejeter les structures de l’Union européenne ne sert à rien si l’on conserve le néolibéralisme qui est la cause première du populisme. L’essor du Front national a coïncidé avec le tournant rigoriste de 1983, et tous les effets de l’idéologie néolibérale qui ont favorisé la progression du populisme, la rendent aujourd’hui irrésistible : désindustrialisation, chômage de masse, précarité, importation de main-d’œuvre servile, destruction méthodique des services publics dans le cadre d’une marchandisation générale des êtres et des choses.
La vague populiste est strictement protestataire. Elle provoque des émois médiatiques et de réelles angoisses par ce qu’elle charrie de haine identitaire. Elle ne relance pas plus un fascisme à l’ancienne qu’une promesse de reconstruction sociale et politique. En France comme ailleurs, les chefs populistes ont passé tous les compromis qui assureront le maintien en l’état du système économique et financier. Ils vont pouvoir écrire une nouvelle page de leur histoire – celle de la trahison explicite des classes moyennes et populaires dans l’oubli du principe et des modalités de la souveraineté.
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1/ Cette formule est malheureuse : utilisée par Pétain dans un discours de 1941, elle montre que les discours présidentiels sont préparés par des incultes.
Editorial du numéro 1280 de « Royaliste » – 3 juin 2024
Bien dit. Impeccable.
Rajoutons que pitoyablement M. Macron faute d’arguments susceptibles de rassembler des voix sur sa liste en est réduit à jouer l’atout de la beauté féminine d’où le choix de Valérie Hayer.
Vous avez raison, le populisme n’est qu’une bouillie d’idées à l’emporte pièce qui n’amènera rien de bon, on le voit en Italie avec Georgia Meloni (combien de votes là-aussi acquis grâce à la « plastique » de la candidate ?). Alors Marine Le Pen ? La catastrophe si par malheur elle était élue.
Le fascisme c’est en effet autre chose, c’est une idéologie datée et le personnage de Mussolini est très complexe qui mériterait une analyse objective, mais ça c’est une autre histoire.
« vent mauvais » : « Cette formule est malheureuse : utilisée par Pétain dans un discours de 1941, elle montre que les discours présidentiels sont préparés par des incultes. » écrivez-vous.
Ne pourrait-elle pas aussi montrer quelque imprégnation des inclinations maréchalistes de Paul Ricoeur ?
Ce qui est pitoyable, c’est de voir tous ces nationalistes et autres patriotes incapables de se séparer des Le Pen, hier le père, aujourd’hui la fille et la petite fille. Il n’y a absolument rien à espérer de telles personnes.
Lamentable.
« (…) le patron de Renaissance a annoncé son intention de “débusquer’ le programme anti-européen du Rassemblement national – au moment même où les responsables de cette formation pactisent avec le patronat – mais le premier parti d’opposition poursuit son ascension. »
Le Front national a TOUJOURS défendu une ligne pro-capitaliste au détriment des salariés. Son premier ouvrage de référence s’intitulait DROITE ET DEMOCRATIE ECONOMIQUE. L’ayant lu entièrement, je peux vous dire que les idées qui y étaient défendues pouvaient faire passer M. Giscard dit d’Estaing pour un communiste. Ce programme n’a JAMAIS été renié jusqu’à l’arrivée de M. Philippot sous le « règne » de Marine Le Pen.
Quant aux thèses actuelles défendues, c’est une espèce de « sociale-démocratie » qui se garde bien de s’en prendre aux tenants du Capital, lui promettant au contraire des allégements de charges sans faire de différence entre la TPE/PME et les immenses entreprises qui rapportent des millions à leurs dirigeants et actionnaires au détriment des salariés.
La tromperie est totale pour ceux qui voient dans ce parti une formation défendant le prolétariat. Encore une fois ça n’a rien à voir avec le fascisme de Mussolini qui au moins a tenté via le corporatisme d’atténuer l’exploitation capitaliste même si objectivement on ne peut nier qu’en pratique ça s’est révélé être un échec d’où la forte opposition communiste qui en a résulté. Cette expérience a prouvé que le corporatisme n’était pas une troisième voie entre le communisme et le capitalisme puisque c’est le grand patronat qui au final en a été l’unique bénéficiaire. Mais dans le cas de Marine Le Pen, ce n’est encore une fois même pas cette fausse troisième voie mais la voie classique capitaliste.
Si Marine Le Pen arrive par malheur au pouvoir, la CGT aura du pain sur la planche et le Parti communiste a des chances de vivre une nouvelle jeunesse.
Ce qu’il y a au moins de bien chez les royalistes (dont je ne fais pas partie sauf si le prétendant est un nouveau Saint Louis), c’est que par le fait même qu’ils souhaitent mettre à la tête de la France l’héritier du trône, ils ne seront jamais contaminés par le « lepénisme » et ne verront jamais comme solution à nos problèmes la famille Le Pen qui a toujours été au contraire un problème elle-même pour le bien-être de notre pays.