Monarchie et République selon Charles de Gaulle

Mai 10, 1998 | Res Publica

Contribution au colloque international qui s’est tenu le 18 avril 1998 à l’Université de Louvain-la-Neuve sur le thème : « Aujourd’hui Charles de Gaulle », à l’initiative du Cercle d’Etudes Charles de Gaulle présidé par Francis Depagie et dont Richard Fielz est le président d’honneur.

 

Songeant à l’avenir de la France, après l’accomplissement de son œuvre propre, le Général confie à Philippe de Gaulle qu’il faudra «continuer cette sorte de monarchie populaire et qui est le seul système compatible avec le caractère et les périls de notre époque ».

A partir de cet extrait d’une lettre datée de juin 1961, appuyée par des citations plus connues, il serait facile de vanter le monarchisme de Charles de Gaulle, de l’illustrer par une relecture des principes d’arbitrage et de continuité de l’Etat qui sont inscrits dans l’article 5 de la Constitution de la 5ème République, et de puiser pour conclure dans les nombreux documents publiés pour démontrer, une fois de plus, le sérieux des projets que le Général et le comte de Paris avaient formés lorsque, voici quarante ans, Charles de Gaulle revint aux affaires.

Il paraît plus intéressant de modifier la perspective pour montrer l’ampleur et l’actualité des clarifications conceptuelles et des révolutions politiques accomplies par le Général. Lorsque la Troisième République s’effondre, les confusions abondent dans tous les domaines. Les maurrassiens présentent la monarchie comme un idéal, et la République comme un régime tandis que, dans le camp adverse, on disserte à l’infini sur les notions de souveraineté nationale et de souveraineté du peuple. L’idée de souveraineté est elle-même devenue obscure puisqu’on ne distingue plus guère le principe fondateur, l’autorité médiatrice, et le pouvoir de décision. Point étonnant, dès lors, que l’histoire du Politique soit faite de violents mouvements de balancier.

Tantôt, la personne du souverain monarque absorbe le gouvernement et la représentation : c’est l’absolutisme. Tantôt, le peuple souverain est résorbé dans une fraction : c’est le jacobinisme. Tantôt, les représentants de la nation soumettent le gouvernement : c’est le régime d’Assemblée. Tantôt, la nation souveraine est absorbée par le gouvernement : c’est le césarisme qui va surgir du chaos de la défaite.

Face à cette situation à tous égards catastrophique, le général de Gaulle accomplit, entre mai 1940 et octobre 1962, un travail d’élucidation et de renouvellement des concepts qui va lui permettre de réussir notre révolution politique et juridique. Cette révolution, qui doit être prise aux divers sens du terme, présente quatre aspects :

C’est une révolution du regard historique, qui est conçue comme retour et reprise.

Le général de Gaulle accomplit en effet un retour complet sur les origines de la nation française, et intègre dans une synthèse dynamique les dynasties carolingiennes et mérovingiennes, l’œuvre des rois capétiens et celle menée par les divers régimes républicanistes. Cette synthèse permet de reconstituer une mémoire commune, à une époque où la fausse antinomie entre la République et la Monarchie se fonde sur la coupure de 1789, envisagée de manière radicalement opposée par les maurrassiens et par les républicanistes.

De plus, le Général effectue une reprise des idées fondatrices de la pensée classique du Politique et des principes de la démocratie représentative moderne : références implicites à la pensée grecque du pouvoir mixte et à la doctrine de la souveraineté chez Jean Bodin ; références aussi à la thématique institutionnelle qui inspire les monarchiens et les monarchistes libéraux : Etat arbitral, droit de dissolution, bicaméralisme, alliance du pouvoir et du peuple, volonté de limiter… la Volonté générale.

C’est une révolution dans les concepts, qui sont délibérément renouvelés. La République n’est plus considérée comme un régime particulier, mais comme l’idée même du Politique, comme l’idéal du bien commun selon sa définition traditionnelle. La monarchie, inversement, quitte le ciel des purs principes maurrassiens pour redevenir un régime particulier, une des modalités de la res publica, particulièrement importante dans notre histoire puisque l’Etat, artisan de l’unité, a été construit par les rois de France et conçu par les légistes.

Dès lors, il devient possible d’inscrire la nation française dans une continuité plus que millénaire, au lieu de la présenter comme un héritage qu’il faudrait sauver jour après jour des griffes révolutionnaires – ou, au contraire, comme une invention géniale des héros de 1789-1793.

De cette vision historique procède la définition gaullienne de la légitimité, évidemment puisée à la source capétienne – principe primordial de la défense nationale, inscription du détenteur de la puissance souveraine dans la longue durée historique, service de l’Etat – mais aussi dans la très ancienne exigence du consentement populaire auquel le suffrage universel donne sa pleine dimension.

C’est une révolution-rupture, dont les grands moments n’ont pas besoin d’être décrits : Appel du 18 Juin, affirmation de la légitimité en exil puis sur le territoire français d’Algérie contre les apparences légalistes de Vichy ; participation à la guerre contre le Reich et lutte contre l’impérialisme américain ; rejet du régime d’Assemblée et restauration de l’Etat dans son indépendance, légitimation populaire du chef de l’Etat grâce au principe de l’élection du Président au suffrage universel…

C’est une révolution-refondation, qui est dans l’esprit du mouvement de 1789 lorsque les révolutionnaires reconnaissaient en Louis XVI le restaurateur des libertés françaises, acclamaient le Roi lors de la fête de la Fédération et adoptaient la Constitution de 1791. Le général de Gaulle creuse au plus profond puisque la 5ème République est l’heureuse traduction modernisée du gouvernement mixte qui réunit et compose la part démocratique (le suffrage universel), la part monarchique (l’unité de la décision au sommet de l’Etat) et la part aristocratique (les hauts fonctionnaires voués, à l’époque, au service exclusif de l’Etat et de la grandeur de la France).

Cette révolution se traduit également par une complète remise en ordre du système des libertés, des pouvoirs et des valeurs.

-Souveraineté nationale, qui s’exprime par le suffrage populaire.

-Formations politiques, reconnues par la Constitution, et qui concourent à l’expression du suffrage universel.

-Représentation de la nation, dans le cadre des assemblées parlementaires.

-Gouvernement responsable devant le Parlement, dont la tâche est de déterminer et conduire la politique de la nation, selon les termes de l’article 20.

-Pouvoir souverain défini par l’article 5 : arbitrage, continuité, indépendance nationale. Dans la 5ème République, la monarchie est démocratique (dans sa fondation), médiatrice (par fonction), nationale (par vocation), républicaine (par exigence et par souci).

-Contrôle de constitutionnalité des lois, qui délimite le domaine de la Volonté générale.

-Bloc de constitutionnalité (Déclaration de 1789, Préambules de 1946 et 1958) qui rassemble, dans l’esprit des lois fondamentales du royaume, les lois imprescriptibles auxquelles tous doivent se soumettre, à commencer par les plus hautes autorités de la République.

Cette remise en ordre s’effectue aussi selon la temporalité :

La souveraineté du peuple est évidemment permanente, mais s’exprime de façon momentanée lors des diverses consultations électorales.

La représentation nationale doit, pour être efficace dans son œuvre législatrice, s’inscrire dans le durable, même si cette durée peut être réduite par décision souveraine de l’arbitre exerçant son droit de dissolution.

L’Etat obéit évidemment au principe de continuité, comme les services publics qu’il organise.

Le pouvoir souverain, « supérieur » par situation, s’inscrit dans l’histoire, entendue comme mémoire vivante, comme dynamique et, si possible, comme incarnation du projet que la nation accomplit au fil des siècles.

Ainsi évoquées, les révolutions gaulliennes ont rendu possible l’indépendance de la politique étrangère et de défense (grâce à la monarchie présidentielle), la croissance économique grâce au développement de l’économie mixte (avantage de la mobilisation pour le service de l’Etat d’une élite de hauts fonctionnaires bien dirigés) et l’affirmation d’un socialisme démocratique (stricto sensu) caractérisé par la planification à la française, par le dynamisme du secteur public et nationalisé et par une distribution des revenus favorable au monde du travail.

L’action économique et sociale procédait de principe, et elle était délibérément inscrite dans la durée. La politique avait, et conserve aujourd’hui, des rythmes différents selon les fonctions et les enjeux. Ce souci de la temporalité a maintenant disparu. L’idéologie néolibérale est celle de l’instant, de la pulsion, de l’immédiat. Et voici que reparaît la tentation du quinquennat – si révélatrice de la volonté de nier le temps et d’en finir avec l’histoire…

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Article publié dans le numéro 707 de « Royaliste » – 1998.

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