Tandis que la France frôlait la récession, tandis que de très nombreux Français réduisaient leurs dépenses pour les fêtes en raison de l’inflation, le gouvernement et le Parlement se livraient sur l’immigration à un pugilat riche en rebondissements, d’où le Rassemblement national est sorti vainqueur.

Une fois de plus, l’immigration n’a pas été considérée comme un problème à résoudre mais comme un l’objet d’une manœuvre tactique en vue des élections européennes et, surtout, de la prochaine élection présidentielle.

Pour les partis de l’opposition, tant à droite qu’à gauche, il importait que le sujet soit conservé au chaud pour être servi en tranches saignantes ou en promesses sucrées lors des prochaines échéances. Tout au contraire, l’Elysée rêvait de couper l’herbe sous le pied du Rassemblement national en affirmant sa vision “régalienne” par une loi équilibrée capable de rallier des élus de droite et de gauche. Par la même occasion, Emmanuel Macron voulait démontrer qu’il gardait la main sur le système politique, malgré l’absence de majorité absolue. L’homme se croyait, comme à son habitude, maître des horloges et grand manœuvrier, avec, dans des soutes sans gloire, Elisabeth Borne et Gérald Darmanin pour tenir l’équipage. Mais tout s’est détraqué.

Les stratèges macroniens avaient cru jouer au plus fin en présentant le projet de loi sur l’immigration au Sénat, alors qu’il est d’usage que l’Assemblée nationale fasse la première lecture. Dominé par la droite d’opposition, le Palais du Luxembourg a massacré le texte gouvernemental, qui reposait sur deux piliers fictifs : contrôle de l’immigration et renforcement de l’intégration.  Le second pilier a disparu et les mesures coercitives ont été durcies : tolérance zéro pour les clandestins, suppression de l’Aide médicale d’Etat, resserrement du regroupement familial, rétablissement du délit d’aide au séjour irrégulier…

Dans une période normale de la vie parlementaire, la version sénatoriale aurait dû être débattue et transformée par l’Assemblée nationale. Toutes tendances confondues, les députés de l’opposition ont voté une motion de rejet. Celle-ci signifiait que les partis de l’opposition voulaient mettre au placard le problème de l’immigration et le ressortir pendant les campagnes électorales car il est toujours plus facile, à droite, de faire de la démagogie sur les immigrés, les migrants et les clandestins que de dénoncer la monnaie unique et le pacte de stabilité, et de faire des propositions sur la politique industrielle et le commerce extérieur. La gauche a voté la motion de rejet pour retrouver un semblant d’unité, songeant qu’il serait toujours temps de dénoncer le populisme – sans doute avec le succès dont elle a fait preuve depuis quarante ans !

Alors que les élections législatives de 2022 permettaient d’espérer le réveil de la vie parlementaire, l’Assemblée nationale a cru habile de se dessaisir de sa fonction éminente – faire la loi. Elle a ainsi ouvert la porte aux manœuvres de l’Elysée, qui se moque, comme chacun sait, de la séparation des pouvoirs, mais qui n’en a pas moins perdu le contrôle des opérations.

Incapable de se faire entendre au Sénat, le ministre de l’Intérieur a troublé ce qu’il est convenu d’appeler l’aile gauche de la macronie. Puis il a mécontenté la droite en laissant détricoter le texte sénatorial en commission. Sanctionné par la motion de rejet, l’état-major de la macronie pouvait décider la fin de la partie en retirant le texte. Emmanuel Macron voulait une loi, quel qu’en soit le contenu, pour démontrer sa capacité à maîtriser le jeu parlementaire. Mais il crut habile de déclarer que le choix était entre la réussite de la Commission mixte paritaire ou le retrait de la loi. Dès lors, il faisait d’Éric Ciotti le maître du jeu et Les Républicains, minoritaires au palais Bourbon, ont pu imposer leurs conceptions.

Le vote final du 19 décembre a souligné l’ampleur de la défaite tactique et stratégique d’Emmanuel Macron. Sa majorité s’est divisée : 27 députés ont voté contre la loi – dont le président de la Commission des lois – et 32 se sont abstenus. Le ministre de la Santé a fait connaître son nom aux Français en donnant sa démission. Le Rassemblement national s’est contenté d’observer les événements avant de voter en faveur du texte de loi et de proclamer sa “victoire idéologique”, qui ne fait aucun doute pour une majorité de citoyens, partisans ou adversaires de Marine Le Pen. Quant aux Républicains, ils sont ravis d’avoir tout à la fois affirmé leur unité et prouvé leur efficacité, qui doit tout de même beaucoup aux bévues des stratèges macroniens.

On notera que, tout au long des débats parlementaires, le patronat n’a cessé d’affirmer qu’il avait besoin d’une importation massive de main d’œuvre, sans que cela trouble ses indéfectibles soutiens parlementaires. Indéfectibles soutiens  des Républicains, promoteurs de Marion Maréchal et d’Éric Zemmour, les bonnes gens du Figaro ont pour leur part expliqué à leurs lecteurs que la loi votée – mais suspendue aux décisions du Conseil constitutionnel – avait une valeur « symbolique » et qu’elle ne modifierait guère les flux migratoires. On va pouvoir relancer le moulin à paroles pendant que le patronat continuera de recruter en Afrique.

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Article publié dans le numéro 1269 de « Royaliste » – 1 janvier 2024

 

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