Perdre l’Algérie ? – par Dominique Decherf

Mar 21, 2025 | Billet invité | 2 commentaires

 

« Vous allez nous perdre » aurait averti le président Tebboune lorsque Emmanuel Macron lui avait annoncé reconnaître la « marocanité » du Sahara occidental. De nombreuses voix en France demandent l’annulation de l’accord du 27 décembre 1968 visant à régler les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France. Une journaliste, Mélanie Matarese, vient de publier aux Presses de la Cité un ouvrage bien informé : « Comment la France a (encore) perdu l’Algérie ».

La tension actuelle ne s’inscrit pas dans la série de hauts et de bas en soixante ans de relation franco-algérienne. Elle pose la vraie question de son exceptionnalité, de son caractère « spécial ». L’accord de 1968 n’interroge pas tant parce qu’il favoriserait une immigration incontrôlée ou fournirait le terreau du terrorisme djihadiste. Révisé en 1985 (instauration des visas), 1994 et 2001, les experts discutent de la réalité de ses avantages, un ou deux ans de mieux, des formalités en moins que l’immigration des Marocains ou autres. Les flux et les stocks sont comparables. Les attaques au couteau ne sont pas propres aux Algériens. Le véritable point de contentieux est le fait que, dans un cas unique, l’Algérie, la question est réglée par voie contractuelle et non unilatérale par la seule loi nationale. Un traité ou accord international est supérieur aux lois. Celles-ci qui s’appliquent à tous ne profitent pas ou ne sanctionnent pas les Algériens, qu’elles penchent dans un sens ou dans l’autre.

La question posée, tant à l’Algérie qu’à la France, est de savoir si les deux parties souhaitent maintenir cette relation ou ne préfèrent-elles pas rentrer dans le droit commun. En d’autres termes, le moment est-il venu de se séparer ? A deux reprises au moins, le président Chirac en 2003 et le président Macron en 2022 avec leurs homologues algériens ont mis en chantier un nouveau traité franco-algérien sur le modèle, dit-on, du traité franco-allemand de 1963. Les essais dans ce sens ont capoté. Si bien que l’on retombe toujours sur cet avatar des accords d’Evian de 1962 qu’est cet accord de 1968. Les accords d’Evian étant restés lettre morte, le général de Gaulle après mai 1968 avait, non pas, comme on le pense souvent, ouvert les frontières à l’immigration algérienne, mais au contraire voulu sortir de ces accords désastreux pour ce qui concernait l’admission des Algériens sur le sol français. Il s’agissait de réglementer ce qui autrement aurait été libre, d’où un traitement spécial, puisque l’on partait d’accords uniques en leur genre.

Maintenant il s’agit de savoir si la France et l’Algérie veulent solder le tout sans pouvoir songer à vue humaine à repartir sur de nouvelles bases contractuelles. Simplement l’application du droit commun des « étrangers » (Albert Camus). C’est un choix grave pour les deux. Cela ne va pas mettre un terme ni même réduire significativement l’immigration algérienne alignée sur celle des autres pays dans le monde. Cela ne va pas améliorer le taux de retour des OQTS, médiocre partout dans le monde. Cela va simplement mettre un terme au caractère « spécial » de la relation, instaurer un rapport dit « normal », dépourvu de tout affect, désincarné, dépassionné, en un mot : « ordinaire ». Chacun doit comprendre que ce sera tirer un trait définitif sur l’histoire, de chaque côté, là l’histoire de l’indépendance, ici l’histoire de la fondation de la cinquième République. On peut le faire, mais on doit bien savoir ce que l’on fait, consentir au divorce, dissoudre la « communauté » sans esprit de retour, aller voir ailleurs. Y réfléchir à deux ou trois ou sept fois.

Dominique DECHERF

 

Partagez

2 Commentaires

  1. RR

    Nos relations avec l’Algérie doivent être les mêmes qu’avec les autres pays du Maghreb.
    Quant aux OQTF, nous avons largement les moyens de les faire appliquer. Le président des Etats-Unis Donald Trump (dont je le reprécise par ailleurs je ne suis nullement un « fan ») l’a bien démontré récemment avec le Costa Rica. C’est une question de volonté politique. Mais ne comptons pas pour cela sur les malfaisants qui nous dirigent sans interruption depuis des décennies.

  2. Cording1

    Perdre l’Algérie ? Ou la gagner ? Deux fausses perspectives. La réalité consiste plus à faire plus de fermeté à l’égard d’un pouvoir, d’une caste politico-militaire qui use et abuse de sa rente mémorielle pour culpabiliser notre pays. Elle se révèle plutôt incapable de résoudre ses problèmes internes et externes tellement que les BRICS+ n’ont pas voulu de sa candidature. C’est tout dire. La France est le bouc-émissaire de toutes ses difficultés.