Entre le Grand Soir institutionnel et le statu quo monocratique, Benjamin Morel montre qu’il est possible de rééquilibrer les institutions de la Ve République dans le sens d’une démocratie parlementaire renouant avec le peuple français. C’est ouvrir un indispensable débat.

La gauche dite radicale nous promet depuis des lustres la VIe République sans qu’on la voie venir. Bien sûr, Jean-Luc Mélenchon n’est pas encore au pouvoir mais nous ne savons pas de quoi il s’agit. Certes, il y a des éléments de programme mais ils supposent que la Constituante serait mélenchonienne, ce qui est loin d’être gagné. Et si les Insoumis arrivaient à nous fabriquer la Constitution d’une VIe République exemplaire, ce ne serait toujours pas gagné. Benjamin Morel rappelle à juste titre que la sage constitution orléaniste établie après 1871 a dérivé vers une instabilité qui n’était pas prévue. De même, la Constitution de 1958 avait été conçue pour donner au gouvernement les moyens de gouverner alors que nous avons vu le régime se transformer en monocratie présidentielle.

Monocratie et pas monarchie : le terme choisi par l’auteur est pertinent. Nous ne sommes pas dans une monarchie démocratique et parlementaire comme il en existe dans plusieurs pays européens mais dans un système d’hyper-concentration du pouvoir qui étouffe la démocratie et domine ou contourne le Parlement.

Comment faire pour que les institutions fonctionnent selon leurs principes premiers ? Le jeu actuel des partis ne porte pas à une grande révision qui suppose le franchissement de maints obstacles constitutionnels, qu’on invoque pour ne rien faire. Benjamin Morel, qui enseigne le droit et préside le Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, affirme qu’on peut changer l’économie du régime, tout en tenant compte d’une opposition résolue du Sénat mais sans exclure la possibilité d’une coopération de la Haute Assemblée. C’est formuler un réformiste d’attente car les propositions qui pourraient être rapidement mises en œuvre dans le cadre actuel sont susceptibles d’être intégrées dans un nouveau texte constitutionnel.

Ce vaste champ de possibilités ne peut manquer de retenir l’attention des royalistes qui, à l’invitation du deuxième comte de Paris, ont défendu la Constitution de la Ve République tout en cherchant à améliorer son fonctionnement. Ce qui ne les a pas empêchés de faire valoir la rationalité du passage de la monarchie républicaine élective à la monarchie républicaine réassurée et rééquilibrée par l’arbitrage royal. Benjamin Morel n’adhère pas à ce projet mais nous sommes en plein accord avec lui lorsqu’il souligne la nécessité de rétablir le président de la République dans sa fonction symbolique tout en transformant le rôle de l’élu au suffrage universel. On peut à cet égard envisager une réforme du mode d’élection du président de la République et instaurer un parrainage de 100 000 citoyens et 250 élus pour les candidats.

Le président élu doit bien sûr conserver les attributions prévues à l’article 5 de la Constitution quant à l’arbitrage, à la continuité de l’Etat et à la Défense nationale. Sur ce dernier point, il est important de rappeler que si le président de la République est le chef des armées, c’est le Premier ministre qui “dispose de l’administration et de la force armée” et qui peut donc s’opposer à un envoi de troupes annoncé par l’Elysée…  Si les pouvoirs du chef de l’Etat doivent être préservés et précisés dans les domaines qui sont désignés comme régaliens, il est urgent de revenir à nature parlementaire du régime en renforçant la représentativité du Parlement.

Benjamin Morel propose que l’Assemblée nationale soit élue à la proportionnelle et argumente fortement en faveur de ce mode de scrutin qui pourrait être organisé de différentes manières. Quant au Sénat, il récuse l’idée, que nous avons souvent évoquée, d’une élection de la Haute Assemblée à la proportionnelle intégrale. C’est là “une rêverie de juriste”, écrit-il, car la seconde chambre doit demeurer moins légitime que l’Assemblée nationale. On pourrait cependant renforcer la représentativité du Sénat en renforçant son collège électoral. Le rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement implique aussi un réaménagement du fameux parlementarisme rationalisé par une plus grande liberté des députés en matière financière, par un renforcement du contrôle parlementaire et des moyens matériels accordés aux assemblées.

Pour redonner la parole au peuple français, il est urgent de revenir à la pratique du référendum telle qu’elle est prévue par la Constitution en étendant le champ du référendum qui deviendrait par ailleurs la seule voie possible pour une révision constitutionnelle. Il est non moins important, selon Benjamin Morel, d’établir le Référendum d’initiative citoyenne (RIC) selon des modalités qui sont précisément exposées.

Les vives critiques adressées au Conseil constitutionnel l’an dernier ont souligné son manque de légitimité. Il faudrait donc revoir le mode de nomination des prétendus sages du Palais-Royal et leur donner les moyens de travailler.

Pour chacune des questions évoquées, Benjamin Morel présente plusieurs scénarios et plusieurs propositions juridiquement étayées. S’ouvre ainsi un débat, avec l’auteur et à l’intérieur de notre propre courant. Il y a une discussion à poursuivre (2) sur la fonction présidentielle – aucune réforme n’effacera son ambiguïté constitutive -, sur le quinquennat qui est pour nous la cause majeure des dérèglements récents et sur l’utilité du Conseil économique, social et environnemental dont nous souhaitons la suppression. Comme le montre Benjamin Morel tout au long de son livre, il est nécessaire de réfléchir sur le fonctionnement des autres démocraties parlementaires européennes et d’en tirer profit pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. Dès lors que le peuple français l’aurait approuvée par référendum, la solution monarchique et royale que nous préconisons s’établirait plus aisément dans des institutions largement rénovées que dans la gouvernance monocratique que nous sommes obligés de subir. Pour le moment…

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1/ Benjamin Morel, Rompre avec la monocratie présidentielle, Comment réformer nos institutions, Le Bord de l’eau/Le temps des ruptures, 2024. L’auteur a publié en 2018 un ouvrage de référence : Le Sénat et sa légitimité, l’institution interprète d’un rôle constitutionnel, Dalloz.

2/ Cf. mon entretien avec l’auteur, sur la chaîne YouTube de la NAR.

Article publié dans le numéro 1276 de « Royaliste » – 5 avril 2024

 

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