Dans les mêlées confuses qui marquent cette fin d’époque, il serait étonnant que nous ne soyons pas en difficulté. Nous y sommes en effet, et cela touche à l’essentiel : le pouvoir politique et ceux qui le détiennent.
Il paraît facile, sur le papier, de défendre la res publica contre ses serviteurs, lorsque ceux-ci font preuve d’une insigne faiblesse, ou sont manifestement corrompus. Comme tant d’autres citoyens, nous constatons l’indignité politique de Jacques Chirac et de Lionel Jospin. Ils ne respectent la Constitution ni dans sa lettre ni dans son esprit ; ils ne se préoccupent ni du bien commun ni du bien vivre puisque le président de la République et le Premier ministre ne s’opposent pas, malgré les moyens considérables dont ils disposent, à la généralisation de la violence ultralibérale. Ce faisant, notre liberté critique s’exerce selon une nette distinction entre les hommes et les fonctions.
Mais que dire lorsque la faiblesse de l’homme d’Etat est utilisée pour détruire la fonction qu’il exerce ? Si nous défendons mordicus l’Etat, on nous accusera de complaisance pour l’homme, et si nous accablons le haut personnage nous participerons peu ou prou à la destruction de l’Etat.
La question se pose pour Jacques Chirac, victime d’une campagne de presse alimentée par les imprudences financières qu’il aurait pu commettre dans le passé. Il est manifeste que les dirigeants du Monde et les Verts exploitent cette fragilité personnelle pour en finir avec la « monarchie républicaine », autrement dit avec l’Etat. Mais la question pourrait se poser aussi pour Lionel Jospin, si ses propres errements étaient un jour utilisés pour détruire la fonction de Premier ministre.
Il n’y a pas pour le moment de réponse pleinement satisfaisante à cette difficulté car personne ne se présente en recours face aux deux détenteurs du pouvoir exécutif. Nous sommes donc contraints à des attitudes défensives, qui consistent à ne pas participer aux campagnes suscitées par les « affaires », et à défendre avec fermeté l’Etat, les Déclaration et Préambules qui le fondent, et la Constitution qui l’organise.
Car les attaques menées contre les institutions gaulliennes n’ont pas cessé avec la piteuse victoire des partisans du quinquennat. Au contraire, l’offensive qui porte sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat a repris de plus belle, et elle s’est accompagnée de déclarations visant à discréditer le Conseil Constitutionnel. On a en effet suggéré que c’est un arrangement entre Roland Dumas et Jacques Chirac qui a conduit le Conseil a rappeler le principe de séparation des pouvoirs en janvier 1999 et à faire valoir le privilège de procédure et de juridiction (et non l’immunité) dont le président de la République bénéficie.
Comme les « juges de la loi » maintiennent aujourd’hui que le chef de l’Etat n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison, et ne peut être traduit en Haute Cour que par vote des deux Assemblées, la campagne de dénigrement du Conseil Constitutionnel a cessé et ceux qui cherchent à déstabiliser le président de la République ont provisoirement baissé le ton.
Mais une nouvelle menace pointe. Elle tient à l’attitude de Jacques Chirac et de Lionel Jospin qui, pour des motifs tactiques, ne veulent ni l’un ni l’autre prendre l’initiative d’un prolongement du mandat des députés, pour que l’élection présidentielle garde toute sa valeur. Cette passivité met en émoi les principaux propagandistes du quinquennat (1) qui reconnaissent donc implicitement que la réduction de la durée du mandat présidentiel et la concomitance de l’élection du président et des députés n’offrent aucune garantie contre le prétendu risque de cohabitation.
Il faut aussi prendre garde au fait que notre Constitution, soumise aux réquisits antidémocratiques de la Cour de justice européenne, est également niée en tant que telle par des réformes déclamatoires (par exemple sur la parité) qui détruisent peu à peu le caractère fondamental du texte constitutionnel en le transformant en dépôt des préjugés idéologiques et des modes du moment.
Royalistes ou non, il nous faut veiller, tous ensemble, au salut de l’Etat.
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(1) le point de vue de MM. Carcassonne, Vedel et Duhamel, Le Monde du 13 octobre.
Editorial du numéro 758 de « Royaliste » – 30 octobre 2000
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