Quel devoir de mémoire ?

Déc 29, 1997 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Que sommes-nous en train de faire avec certains aspects tragiques du proche passé ? Pouvons-nous garder ou retrouver notre mémoire grâce aux étranges reconstitutions qu’on nous présente comme la nouvelle vérité ?

Les royalistes ont leur mot à dire dans les débats qui tournent autour de la mémoire et du passé. A l’encontre de l’opinion répandue, nous ne sommes pas des nostalgiques enfermés dans le passé, mais des citoyens sachant faire la différence entre le passé (ce qui est mort ou révolu, mais dont nous gardons le souvenir) et la mémoire (ce qui, du passé, demeure présent, vivant, transmissible, enrichissant).

Le royalisme n’est pas une tentative dérisoire et maladive de faire revivre le passé, mais une manière de se situer dans l’histoire, et de la faire « travailler » le présent. Bien entendu, nous n’ignorons pas que la mémoire est faite d’oublis (qui peuvent être « réactivés ») et que la matière historique est elle-même éclairée dans une vision de l’avenir. Enfin, nous avons une expérience concrète du travail de la mémoire, de sa nécessité, de ses pièges et des pathologies plus ou moins graves que la relation au passé peut entraîner.

Ainsi nous avons dit et redit que la guerre de Vendée était terminée et que nous ne supportions pas que des notables locaux (M. de Villiers) pratiquent le détournement de mémoire, la récupération de martyrs et le décompte morbide et intéressé de cadavres.

Notre fidélité à la mémoire et nos épreuves historiques nous rendent très attentifs à la manière dont les médias traitent le nazisme et Vichy à l’occasion du procès de Maurice Papon, et exploitent la tragédie communiste. Attentifs, mais dubitatifs. Que cherche-t-on à faire avec le passé ? Pourquoi cette promotion de Stéphane Courtois, alors que d’autres auteurs du livre collectif qu’il a préfacé, et tant d’autres ouvrages sur le communisme, méritaient attention et réflexion ? Que signifie au juste l’engagement du Monde dans cette affaire ?

Nous n’avons pas de réponses, mais nous souhaiterions que les terribles malheurs qui ont marqué le XXe siècle soient évoqués avec prudence. Les grands historiens, les acteurs et les victimes (1) nous y incitent, et regrettent que de mauvais compilateurs d’archives et des journalistes en quête de sensationnel offrent n’importe quoi sur le marché de l’émotion. Notre expérience nous amène en outre à souligner ceci :

– le rappel des atrocités passées n’empêche pas qu’elles soient répétées dans de nouvelles conditions historiques : la dénonciation des crimes de Staline n’a pas empêché ceux des Khmers rouges. C’est la logique de la terreur qu’il faut mettre en question pour chaque idéologie et pas seulement pour le marxisme. Et c’est sur la garantie politique de la liberté qu’il faut veiller : moins d’État, selon le vœu des libéraux, c’est plus de violence.

– le décompte des cadavres est le degré zéro de l’Histoire. On peut faire des effets faciles en dénombrant les martyrs de l’anticommunisme, les victimes des Croisades et celles de Gengis Khan, sans rien comprendre à la nature des événements. Cette comptabilité morbide est souvent une opération de propagande. Ou bien elle permet d’équilibrer les bilans par voie d’arbitrages, comme si les tragédies politiques pouvaient être ramenées au niveau d’une gestion de stocks. Derrière certains calculs compatissants qu’on effectue aujourd’hui, se cache la froide indifférence de médiocres comptables.

– la mise en équivalence du communisme et du nazisme implique la dévaluation du génocide des Juifs. Or il n’y a pas de commune mesure entre des massacres commis pour des motifs sociaux et idéologiques (qui laissent la possibilité d’une conversion ou d’un changement de statut) et l’assignation d’êtres humains à une « nature » fictive, ou plus précisément à une infra-nature selon laquelle ils sont systématiquement exterminés.

– se souvenir du passé ne signifie pas qu’il faille s’y enfermer. C’est ce qui nous menace : un ressassement étranger à ce qu’on appelle le « devoir de mémoire », une chasse aux sorcières qui transforme des antifascistes de toujours en révisionnistes cachés, des opinions péremptoires qui  permettent à quelques folliculaires de proclamer la vérité du passé – alors qu’ils taisent par précaution les vérités du présent. Les aboiements des « nouveaux chiens de garde » (2) ne sont pas l’expression d’une morale.

***

(1) cf. le témoignage de Simone Veil, évoqué dans notre n° 696.

(2) titre de l’excellent livre de Serge Halimi que nous présenterons dans notre prochain numéro.

Article publié dans le numéro 698 de « Royaliste » – 29 décembre 1997.

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