Spécialiste de l’Afrique du Nord, Pierre Vermeren dresse un bilan précis et en tous points accablant de la “politique arabe de la France” et de l’attitude des gouvernants à l’égard des organisations musulmanes.
On entre dans le livre (1) comme dans un casino de cauchemar où des joueurs immatures s’engagent tour à tour dans des parties déjà perdues, multipliant des erreurs et des fautes qu’ils nient effrontément afin de continuer à épater la galerie.
Les plus notoires de tous ces parieurs inconséquents se nomment Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, Laurent Fabius, Emmanuel Macron… Tous ont disposé d’imposants moyens, militaires, diplomatiques et économiques mais tous ont révélé les mêmes handicaps : méconnaissance de l’islam et de notre histoire en terres d’islam, pauvreté de leurs relations dans le monde arabo-musulman.
Il est vrai que la “gouvernance” inculte et irresponsable qui gère le pays à partir de 2007 est l’héritière d’une situation complexe, mal assumée et douloureuse que Pierre Vermeren explique remarquablement : la guerre d’Algérie, l’immigration maghrébine, la “politique arabe” lancée en 1967 par le général de Gaulle et reprise par ses successeurs jusqu’à Jacques Chirac. Quoi qu’on en pense, la politique française est alors relativement cohérente : les présidents français connaissent les pays arabes, Alexandre de Marenches dirige efficacement les services de renseignements en compagnie de Claude Grossmann qui résume ainsi la situation dans les années quatre-vingt : “La France décide, l’Arabie paye, le Maroc exécute”. C’est trop simple, bien sûr, mais cela donne la tendance.
Tout se détraque lors du tournant néo-conservateur qui fait suite aux “printemps arabes” de 2011. Nicolas Sarkozy décide de mener en Libye une guerre dont les désastreuses conséquences relèvent aujourd’hui de l’évidence, et le tandem Hollande-Fabius soutient en Syrie les groupes islamistes financés par les Saoudiens et les Qataris. L’alliance avec l‘Arabie saoudite, fourrier de l’islamisme, et avec les tyrans de Qatar se vit sur fond de corruption. La rupture avec les services de renseignements tunisiens, égyptiens, syriens puis marocains explique pour une grande part les attentats qui frappent la France en 2015.
Aux échecs extérieurs, jamais reconnus, s’ajoute l’incapacité à résoudre les problèmes posés par la représentation de l’islam, l’impuissance des “gouvernances” successives devant la montée en puissance de l’islamisme et l’inertie face aux ingérences de divers Etats arabes dans les affaires françaises. Il est vrai que tout conspire à compliquer et à durcir la situation : le refus d’enseigner le fait religieux à l’école, la complaisance de certains spécialistes pour l’islamisme, que conforte la complicité du clergé catholique, le regard de toute une gauche sur l’immigré rédempteur du péché colonialiste, les compromissions de trop nombreux élus locaux, l’inculture du milieu dirigeant… De bricolages en dénégations, les affaires arabo-musulmanes sont devenues incontrôlables et Emmanuel Macron n’y a rien changé et nous attendons toujours la réforme de l’islam de France qu’il avait annoncée.
Le constat serait désespérant si Pierre Vermeren ne montrait pas la voie d’une politique possible, en France et vis-à-vis de l’extérieur. Il faut repenser la représentation de l’islam, réorganiser le financement des lieux de culte, lutter contre les menées islamistes, repenser complètement nos relations politiques avec les Etats du Maghreb et avec les intellectuels de ces pays car “c’est au Maghreb qu’auront lieu, ou pas, la réforme et la reprise en main d’un islam sorti des griffes du salafisme”. Une politique est possible, dont personne aujourd’hui n’a la volonté.
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(1) Pierre Vermeren, Déni français, Albin Michel, 2019.
Article publié dans « Royaliste » – Octobre 2020
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