René Fiévet : Emmanuel Macron et la théorie des deux France

Juil 20, 2022 | Billet invité | 2 commentaires

Pétainisme légitimiste. Cette expression n’existe pas dans notre champ lexical politico-historique, et pourtant elle le mériterait amplement.  Car c’est une vraie tendance de fond qui semble s’imposer dans l’écriture officielle de notre histoire, et qui vient de trouver une sorte de consécration dans le discours d’Emmanuel Macron à Pithiviers ce 17 juillet 2022.

Oublions Mathilde Panot, qui n’est rien d’autre qu’une sotte et une ignorante. Et déplorons une fois de plus que la bêtise crasse s’impose comme seul sujet de débat dans nos médias, au point de totalement occulter ce qu’il pouvait y avoir d’important, et de signifiant, dans le discours du Président de la République ce 17 juillet 2022 à Pithiviers.

De toute évidence, ce discours avait été soigneusement préparé et réfléchi. Il marque un tournant décisif : la re-légitimation du régime du Maréchal Pétain dans notre histoire nationale. Il ne suffit pas que ce régime ait existé, pour notre malheur et aussi notre honte, il faut qu’il ait légitimement représenté la France. Avec 75 ans de retard, Jacques Isorni a (enfin) gagné le procès du Maréchal Pétain. Un jour viendra où il faudra engager un procès en révision, car comment accepter que Pétain ait été condamné à mort par le peuple français puisque « Pétain, c’était la France ».

Ce pétainisme légitimiste était déjà en germe dans le discours de Jacques Chirac en 1995 (« la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable »). Cette œuvre rénovatrice fut poursuivie avec enthousiasme par François Hollande en 2012 (« un crime commis en France par la France ») ». Macron vient d’ajouter la dernière pierre à l’édifice, en affirmant une position de principe : entre 1940 et 1944, il y a eu deux France. Citons le passage clé de son discours : « La France de Vichy venait de loin, insidieusement, et en quelques mois, elle a éteint les lumières, sali les couleurs, trahi les valeurs de notre nation. La responsabilité de la France y était engagée pour le pire. Mais si la France s’est trahie elle-même à travers ce régime parce qu’elle avait renoncé à ce qui lui est inséparable, la République, l’humanisme, ce n’était pas là toute la France, ce n’était pas là toute la République, même pas la République du tout.  La République et l’esprit de la France n’étaient pas à Vichy, pas à Paris, pas à Drancy. »

Cette théorie des deux France n’est pas nouvelle. Elle vient de loin car elle fut développée à la sortie de la guerre par les pétainistes. Elle postule que le Gouvernement de Vichy a représenté la France tout aussi légitimement que la France Libre, et que Vichy représentait l’Etat souverain sur le territoire national. Comme on le sait, cette théorie a notamment donné lieu à la fameuse fable du glaive et du bouclier.

De quoi, de quelle histoire la France d’aujourd’hui est-elle le nom ? Qu’est-ce qui « fait France » ? Voilà la question. Est-ce la France de Jeanne d’Arc et du Dauphin, ou celle d’Henri V et Henri VI d’Angleterre après le Traité de Troyes en 1420 ? Poser la question, c’est y répondre. L’histoire finit toujours par rendre son verdict pour façonner une nation, et un esprit national. Pas toujours dans le sens que certains auraient souhaité, d’ailleurs : la France qui est sortie de la Commune de 1871, c’est la France bourgeoise et conservatrice de Monsieur Thiers et non celle des communards. Mais c’est cette France bourgeoise qui a installé définitivement la République.

On connait la fameuse formule de l’historien Marc Bloch : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. » Il y a une troisième catégorie : ceux qui ne sont pas saisis d’un frisson d’émotion quand ils songent à ce 25 octobre 1941, quand Jean Moulin est entré dans le bureau du général de Gaulle à Carlton Gardens. Les deux hommes ne se connaissaient pas, et on ne saura jamais ce qu’ils se sont dit (le général de Gaulle s’est bien gardé de le relater dans ses mémoires). Mais on sait que Jean Moulin est ressorti avec un ordre de mission : unifier la résistance en France sous l’égide de la France libre. De cette rencontre improbable, et quasi miraculeuse, entre deux hommes que tout séparait, entre un homme de droite et un homme de gauche, est sortie la France d’aujourd’hui, celle dans laquelle nous vivons. Une France réelle, ni rêvée, ni fantasmée. La seule France, qui n’est pas celle du Maréchal Pétain.

Emmanuel Macron a-t-il compris quelque chose à l’histoire de France ?

René FIEVET

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2 Commentaires

  1. RR

     » « La France de Vichy venait de loin »

    Qu’entend-il par « venait de loin » ? Des profondeurs de notre passé ? De l’Ancien régime sans doute. C’est n’importe quoi ça.

    « la France s’est trahie elle-même à travers ce régime parce qu’elle avait renoncé à ce qui lui est inséparable, la République »

    On voit bien que pour les malfaisants qui tiennent ce discours, la France n’est née qu’en 1789. Même ineptie que de prétendre qu’elle a cessé d’exister à cette date.

    Bertrand Renouvin a depuis longtemps dit et écrit ce qu’il fallait dire et écrire sur tout ça.

  2. Du1erjour

    A ne lire du discours du Président que le passage rapporté, ne pourrait-on pas tout aussi bien soutenir, que celui-ci amorce un retour à la doctrine Gaullienne ?
    Attention : cette remarque est interrogative ; elle ne se veut pas affirmative, loin s’en faut !

    Ce qui retient mon attention c’est la mention de « la République et l’esprit de la France ».