Une historienne écoute des anciens de la Résistance. Rigueur de la méthode, chaleur des récits. Et la « vérité vraie » qui reste toujours à découvrir.
Ce livre surprendra ceux qui ont lu les Mémoires des principaux acteurs de la Résistance, et les essais qui s’efforcent, avec des procédés plus que douteux, de démythifier les grandes figures héroïques des années noires.
C’est bien la mémoire des Résistants qui est interrogée par Alya Aglan, mais il s’agit cette fois de celles et ceux que Pierre Brossolette appelait « les soutiers de la gloire » : les engagés de base, les agents de terrain, dont nous ne connaissions jusqu’à présent que quelques figures. Mais cette mémoire résistante n’est pas seulement recueillie pour que nous en gardions le souvenir : elle fait l’objet d’une véritable recherche historique, méticuleuse, prudente et froide. Les témoignages sont comparés, critiqués, confrontés aux archives disponibles, et les souvenirs des acteurs sont publiés comme tels, dans la diversité des points de vue, dans la variété des interprétations, dans la complexité des affirmations contrastées ou contradictoires. D’où le titre – « Mémoires résistantes » (1) – que l’auteur a choisi de donner à l’histoire d’un réseau de l’Intelligence Service dans la France occupée.
Ce réseau, c’est Jade-Fitzroy, créé par Claude Lamirault, monarchiste convaincu dont le nom de guerre était « Roy », et qui prit pour chef des opérations aériennes et maritimes un de ses camarades qui était, quant à lui, militant communiste. Ce genre de rencontre, fréquente dans la Résistance, serait parfaitement édifiante si le travail historique ne venait démontrer ce que nous savons au fond de nous-mêmes : aucune cause, même la plus légitime et la plus noble, n’est une chanson de geste. Il y a des rivalités, des parts d’ombre, des doutes, des imprudences, des lâchetés, des trahisons. D’ailleurs, les anciens de la Résistance n’ont cessé de dire, et d’écrire cette banale vérité que les démythificateurs font mine de découvrir et de révéler au monde entier.
La recherche d’Alya Aglan est à cet égard exemplaire : elle montre que le travail historique est en dehors du récit mythique, du légendaire, de l’hagiographie, mais que les faiblesses des héros et les contradictions des témoins ne justifient ni les tentatives révisionnistes, ni les conclusions cyniques : comme l’erreur, la faiblesse est humaine et les variations de la mémoire disent simplement que l’histoire d’une époque n’est jamais achevée, que tout événement est susceptible de plusieurs interprétations. Qu’on ne croie pas, surtout, que la rigueur historique favorise le relativisme et tue l’émotion. Par son travail, Alya Aglan a arraché à l’oubli des pages humbles et glorieuses qui ont tissé l’ordinaire des jours de la Résistance.
***
Article publié dans le numéro 621 de « Royaliste » – 2 mai 1994.
Alya Aglan, Mémoires résistantes, Editions du Cerf, 1994.
0 commentaires