En annonçant le 24 août “la fin de l’abondance, des “évidences” et de “l’insouciance”, Emmanuel Macron a enfoncé des portes ouvertes avec la compétence qu’on lui connaît. Il a aussi repris sans le savoir le discours que tenait la classe dirigeante en 1974, après le premier choc pétrolier.

A cette époque, le gouvernement demandait aux Français de réduire leur consommation d’électricité et deux personnalités connues expliquaient que “les vaches maigres” (1) permettraient de changer en profondeur la société. Diffusé par la radio et la télévision, l’esprit de sacrifice flottait dans l’air du temps, assorti de toutes sortes de bonnes résolutions. L’alerte passée, on s’éclaira et on se chauffa comme avant et l’automobile conserva son prestige, source d’innombrables dégâts.

La crise multiforme qui se développe en ce moment inspire au gouvernement et aux médias le même discours sacrificiel. Mais la communication officielle se diffuse dans un contexte très différent. En 1974-1975, les orientations du gouvernement et l’organisation de l’économie maintenaient les classes moyennes et populaires dans l’espoir de progrès significatifs ; les éléments les plus novateurs pouvaient envisager des transformations profondes à partir de la planification, de la Sécurité sociale, des entreprises nationales, dans une nation pleinement souveraine.

Les ambitions novatrices que formulaient divers courants ont été abandonnées lors du tournant néolibéral de 1983 qui a permis la revanche du capitalisme rentier. Dès lors, le discours sur l’esprit de jouissance et l’esprit de sacrifice, qui était exaspérant en 1975 lorsqu’il était assené depuis des positions sociales très confortables, est devenu littéralement insupportable.

L’élite du pouvoir, des affaires et des médias ne peut pas prétendre à l’exemplarité. C’est elle qui vit dans l’abondance, qui cultive l’évidence de la zone euro et qui a vécu dans l’insouciance que procure le pilotage de l’économie et de la société françaises par les organes de l’Union européenne. C’est cette élite qui n’a pas anticipé la pandémie et qui continue d’entériner, avec les rodomontades d’usage, la dégradation de notre système de santé. C’est elle qui a accepté les aberrations du prétendu “marché européen de l’électricité”. C’est elle qui se complaît dans la corruption…

Emmanuel Macron et la macronie incitent aujourd’hui aux restrictions quotidiennes, mais les chaînes de télévision et les groupes capitalistes qui les possèdent nous poussent, par le biais du matraquage publicitaire, à acheter de grosses voitures et toutes sortes de machines consommatrices d’électricité. Il faudrait, somme toute, continuer à acheter des grille-pains mais ne pas les utiliser. Cette injonction contradictoire s’adresse à ceux qui ont encore les moyens de s’offrir des voitures et des gadgets électroniques, mais il y a plus grave encore que cette inconséquence.

Ce qui est intolérable, c’est qu’on va une nouvelle fois sacrifier ceux qui sont sacrifiés depuis bientôt quarante ans. En 1974-1975, le discours sacrificiel s’adressait à une société relativement prospère. Il vise aujourd’hui des classes moyennes et populaires qui subissent depuis quatre décennies les mesures austéritaires et toutes les violences que le néolibéralisme a déchaînées.

Il y a, dans notre pays, 530 000 personnes en situation de mort sociale, et on recensait en 2019 dix millions de pauvres. Dans de nombreux foyers, il y a longtemps qu’on ne se sert plus du four électrique et qu’on réduit le chauffage au minimum. Ces ménages ne pourront pas supporter l’augmentation de 15% du gaz et de l’électricité que le gouvernement annonce pour janvier. Censé faire baisser la consommation, le « signal-prix » pourrait être un signal de révolte.

Cette révolte devrait être d’autant plus violente que l’élite du pouvoir, des affaires et des médias ne sacrifiera pas ses avions privés, ses croisières luxueuses et tout un train de vie d’autant plus agréable qu’il est assuré par l’Etat ou par des sociétés privées au titre des frais généraux. La sécession de l’élite, outrageante en temps normal, va devenir intolérable : nous payons pour leurs petites jouissances et ils nous font payer le prix de leurs erreurs et de leurs fautes.

Faute de disposer des moyens de l’indépendance, l’oligarchie soumise aux décisions de la Banque centrale européenne et aux injonctions bruxelloises se réfugie dans une politique du semblant. Semblant de planification par multiplication de comités. Semblant de dialogue annoncé sur les retraites. Semblant de politique souveraine…

La “gouvernance” essaie de gagner du temps, ou de l’acheter en distribuant des aumônes sous forme de “chèques”. Promettant des centrales nucléaires et des éoliennes tout en préparant de nouvelles mesures austéritaires, elle n’envisage pas une seconde la réorientation et la réorganisation complète de nos modes de production et de consommation. Dépourvue de volonté autant que de moyens puisqu’elle s’ingénie à détruire l’Etat, elle compte, à tort, sur notre cécité et notre accablement.

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(1) Michel Albert et Jean Ferniot, Les vaches maigres, Gallimard, 1975.

Editorial du numéro 1240 de « Royaliste » – 25 septembre 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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