Scènes iraniennes

Sep 17, 2012 | Chemins et distances

Mots clefs : Hafez Khiyavi | Iran

 

Ecrivain très prisé et primé en Iran, Hafez Khiyavi évoque la vie quotidienne du menu peuple en République islamique. Tendres ou cruels, ses récits (1) dérangent les pieuses représentations officielles.

Il y a ce jeune garçon qui décide en secret de jeûner avant l’âge mais qui se confie à Somane, la belle enfant perchée sur un cerisier qui refuse de voiler son visage malgré les criailleries familiales et les menaces : une femme sans voile va en enfer et elle est pendue par les cheveux… Pour l’heure, la fillette montre au jeûneur novice deux belles cerises qui lui font moins envie que ses lèvres. Ce n’est pas un péché car Mollah Hassan, qui est gentil, donnerait la permission de l’embrasser. Mais tout de même, en période de Ramadan…

Il y a cet autre enfant, qui joue l’un des personnages du mystère de Kerbela célébrant le martyre du l’Iman Hossein, petit-fils du Prophète. Lorsque la caravane de la famille de Mahomet arrive devant les méchants – l’Armée de Shemr – la foule prie et pleure à chaudes larmes, même le policier qui fumait tout à l’heure une cigarette. Heureusement, « des yeux qui pleurent pour Hossein, le jour du Jugement ils riront »…

On aimerait continuer à partager le regard de l’enfance sur le monde mais Hafez Khiyavi nous donne à sentir les cruautés de la vie. Voici un tireur d’élite, qui fait sa besogne sur le front irakien. Avec ses copains, il aimait plonger les chats dans l’eau bouillante. Et puis, il s’est fait jeter par la fille qui lui plaisait alors il s’est engagé, on lui a mis un bandeau sur le front et il est parti au combat en se frappant la poitrine et en criant des trucs. Pas vraiment une haute conscience de la lutte religieuse, le gars, mais l’important, c’est que des sales types comme lui soient capables de tuer. Ce qu’il fait : le jeune et beau mec d’en face reçoit une balle au milieu du front. C’est comme ça qu’il aimerait mourir, le soldat de Khomeiny, avant d’être dévoré par les fourmis. Sous le fanatisme religieux, le désespoir absolu… On peut mourir autrement : voici un homme arrêté, sans qu’on sache pourquoi, transporté en camionnette dans un lointain désert, attaché à un arbre, criblé de balles et si prestement enterré que le malheureux se plaint que personne n’ira pleurer sur sa dépouille. Du moins, le cadavre ne sera pas volé comme dans une autre histoire…

Au fil des nouvelles, on rencontre des personnages qu’on voudrait suivre plus longtemps. Par exemple Nezakat, cette femme à la langue bien pendue qui gagne sa vie avec les hommes ou encore Nader, le serrurier poète qui n’a rien publié alors qu’on le compte parmi les plus grands.

***

(1) Hafez Khiyavi, Une cerise pour couper le jeûne, Editions Serge Safran, 2012. Traduit du persan (Iran) par Stéphane A. Dudoignon.

Article publié dans le numéro 1018 de « Royaliste » – 17 septembre 2012

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