Emmanuel Macron s’engage dans la « transformation » de la fonction publique pour réduire ses effectifs et la soumettre aux procédés du management privé. Il s’attaque à des principes institués et à ceux qui les appliquent. Il menace l’Etat en tant que tel, qui est l’une des conditions de notre existence nationale.

La France existe aujourd’hui grâce à ses trois Constitutions, administrative, sociale, politique, qui sont le fruit de sa très longue histoire. A la Constitution administrative qui s’esquisse avec Philippe Le Bel, se sont ajoutées la Constitution sociale inscrite dans le Préambule de 1946 puis la Constitution de 1958 qui se fonde sur la Déclaration de 1789 et le texte de 1946. Au fil des siècles, notre histoire s’est instituée sans se figer et l’ensemble de notre organisation constitutionnelle est assurément révisable et perfectible. Or, depuis le milieu des années quatre-vingt, les « réformes » de droite et de gauche sont allées dans le sens de la destruction. Destruction de la Constitution de la Vème République devenue avec le quinquennat un instrument de l’oligarchie. Négation des principes inscrits dans le Préambule de 1946. Attaques multiples lancées contre notre Constitution administrative selon les mots d’ordre de l’ultralibéralisme : nombre excessif de fonctionnaires, anomalie de leur statut, lourdeur des procédures ! Cet argumentaire simpliste est repris par le Président des riches qui est persuadé, comme tous les gens de sa caste, que l’organisation étatique sera efficace quand elle sera calquée sur le secteur privé.

Cette confusion entre le public et le privé est absurde. Le pouvoir politique, établi sur nos principes juridiques, et l’Etat, chargé de mettre en œuvre le droit, sont au service de l’intérêt général. La collectivité nationale telle que nous la concevons en France – celle d’un peuple de citoyens – ne peut exister durablement sans les institutions politiques et administratives régies par le droit public. De leur côté, les entreprises privées visent la maximisation de leurs profits et les organismes privés assurent la défense et la promotion d’intérêts particuliers. Le gouvernement et l’administration publique ne sont pas comparables ni réductibles au privé parce que le pouvoir politique et l’Etat sont en charge des conditions même de la vie et de la survie de la nation – la Défense nationale, la sûreté, la protection des droits de tous et de chacun – et parce qu’ils sont les points éminents de notre système de médiations. Le pouvoir politique, dans sa vocation arbitrale aujourd’hui niée, est un médiateur. L’Etat est le régulateur des conflits sociaux et individuels parce qu’il dispose de la force nécessaire au respect de la loi. Le pouvoir politique et l’Etat relèvent du domaine de la souveraineté, de la légitimité et de la légalité.

Il est possible et nécessaire de citer mille manquements à ces principes, mille abus et dérives bureaucratiques. Mais contre ces faiblesses et ces scandales c’est aux principes qu’il faut en appeler – non aux règles plus ou moins respectées de la gestion privée. Et c’est selon ces principes que le statut de la fonction publique de l’Etat doit être envisagé. Le fonctionnaire est dans une situation statutaire et règlementaire parce qu’il est au service de l’intérêt général ; son statut repose sur les principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité qui sont d’ordre politique et qui relèvent de la raison juridique explicitement reliée à la Déclaration de 1789. C’est selon ces principes que la fonction publique peut être améliorée – par exemple si l’on se décidait à respecter l’article 15 de la Déclaration qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Sous différents régimes politiques, la France s’est construite avec l’Etat et par l’Etat. Détruire l’Etat par la contractualisation, l’évaluation au « mérite » et les licenciements collectifs déguisés en « départs volontaires », c’est menacer la nation dans son existence à l’heure où, affaiblie dans sa souveraineté, elle est exposée aux puissances financières et à une technologie pré-totalitaire. Face à l’offensive contre la fonction publique, mobilisation générale !

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(1)    Lire ou relire : Anicet Le Pors – Gérard Aschieri, La fonction publique au XXIème siècle, Les éditions de l’Atelier, 2015.

Editorial du numéro 1139 de « Royaliste » – 2018

 

 

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1 Commentaire

  1. Jacques-André Libioulle

    Certes, mais comment concevoir une mobilisation générale? Quelle forme prendrait-elle? Le citoyen doit-il rendre sa nationalité en argumentant d’une marchandise tronquée? Doit-on mobiliser les intellectuels comme fer de lance? Or, l’Etat ne tient plus compte des intellectuels considérés désormais comme éléments décoratifs du pouvoir! Doit-on réserver, dans la nouvelle mouture de l’Education nationale, une plage consacrée à la récusation de la gouvernance? Faut-il une marche silencieuse? Une marche séditieuse? Une marche mobilisatrice? Mais qui, de chacun de nous, est-il vraiment au courant de la distorsion des fondamentaux de l’Etat? Les juristes? Les politistes? Les journalistes? Précisément Macron se méfie particulièrement de ceux-ci!
    Ce que je redoute le plus est l’absence de prise de conscience et l’inertie généralisée, pareilles à une grenouille plongée dans une cuve d’eau et sous laquelle on attise progressivement le feu.