La classe dirigeante, qui se dit réaliste, ignore résolument la dure réalité du travail dans des entreprises livrées aux impitoyables méthodes du management. Appuyé par de solides études, François Ruffin met en accusation un système et avance des propositions libératrices (1).
François Ruffin est un député qui n’oublie pas qu’il a été journaliste. Ses enquêtes filmées ou publiées sont le résultat d’un travail approfondi, après de nombreuses rencontres et d’amples lectures. Pour dénoncer la souffrance au travail, il s’est appuyé sur un rapport parlementaire, sur les contributions d’une soixantaine de chercheurs (2) et sur les témoignages de nombreux travailleurs dans divers métiers. Ces citoyens invisibles mais indispensables au fonctionnement des entreprises, des trois fonctions publiques et de la société dans son ensemble, décrivent des situations qui n’auraient pas dû être tolérées par les gouvernements successifs. D’ailleurs, Emmanuel Macron en personne avait reconnu qu’il fallait améliorer les conditions de travail et lui redonner un sens. Le 17 avril 2023, il avait même annoncé un “nouveau pacte de la vie au travail” qui n’a même pas connu l’esquisse d’un commencement d’élaboration.
La (sur) vie au travail continue donc comme avant. Elle a été organisée pour dégager le maximum de profit, dans des firmes fabless sans usine et sans ouvriers, selon un principe général de concurrence qui implique un travail low cost car le travail n’est jamais une richesse mais toujours un coût qu’il faut réduire.
Les objectifs du capitalisme sont connus : assurer le maximum de rendement par un personnel réduit au minimum et payé aussi bas que possible, avec baisse des impôts sur les entreprises et réduction ou exonération de charges patronales. Les résultats financiers sont au rendez-vous : les dividendes versés en 2023 ont atteint un nouveau record. Les dégâts humains sont considérables : accidents du travail, cancers professionnels et maladies de toutes sortes, troubles psychiques, suicides.
Bruno Le Maire, qui s’étonne de l’augmentation constante des arrêts-maladie, ne veut pas voir qu’ils sont pour la plupart l’effet direct du système qu’il promeut. Le travail dans la sous-traitance est plus pénible et plus dangereux que dans les grandes firmes. Mais dans les grandes unités productives, l’intensification des tâches (selon les règles du lean manufacturing) est littéralement épuisante chez Airbus comme pour l’infirmière qui travaille en Ehpad. Dans les administrations publiques comme dans les sociétés privées, la manie du reporting et les dispositifs de planning engendrent la bureaucratie et un énorme gaspillage de temps et d’efforts. Et l‘on s’étonne de la baisse de la productivité ?
Contre le “mal-travail”, François Ruffin propose de rétablir les critères de pénibilité supprimés en 2017, de multiplier les inspecteurs du travail, de renforcer la prévention en matière de sécurité et de médecine du travail et de favoriser “la participation des travailleurs à la direction de l’économie”, selon la revendication du Conseil national de la Résistance, et la participation du personnel à l’organisation du travail dans l’entreprise. La démocratie sociale n’est pas seulement une exigence politique. C’est une nécessité pour assurer le dynamisme de l’économie. Il faut mettre un terme aux immenses dégâts provoqués par la gestion managériale et cesser de regarder le travail comme un coût.
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1/ François Ruffin, Mal-travail, Le choix des élites, Les Liens qui Libèrent, 2024.
2/ Que sait-on du travail, Presses de Sciences Po, 2023.
Article publié dans le numéro 1281 de « Royaliste » – 13 juin 2024
Excellent article une fois de plus.
Complétons en dénonçant la pratique de plus en plus systématique par les grosses entreprises du shareholder au détriment du stakeholder, autrement dit en simplifiant satisfaction avant tout des actionnaires quitte souvent à léser des autres acteurs, salariés notamment . Le capitalisme (dont vous avez parfaitement résumé les objectifs) dans toute sa « splendeur ».
Pour des Attal et autres Bardella, le titre même de cet article est incompréhensible, eux qui n’ont jamais travaillé de leur vie. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », telle pourrait être leur commune devise.
Que le R »N » ose se dire défenseur des travailleurs est d’un culot phénoménal de sa part comme le prouve on ne peut plus clairement sa récente alliance avec des cadres du parti des Républicains qui ne cessent de s’attaquer aux droits sociaux et de traiter de paresseux les demandeurs d’emploi.
Non, le R »N » n’est pas fasciste (encore trop social voire rouge), n’a rien de communiste, c’est le conservatisme social le plus dégueulasse. Que des nécessiteux, que des bénéficiaires du rsa s’apprêtent à soutenir cette alliance « nationale » est dramatique. Je sais, certains pensent ainsi résoudre la question migratoire. L’ennui c’est que même dans ce domaine le « lepénisme » (père, fille, petite-fille) est une tromperie.