Face à la renaissance de l’extrême-droite, on ne peut se contenter de dénoncer la « bête immonde ». Il faut étudier ses thèmes, dans leurs constantes et leurs nouvelles formulations.
Toute nouvelle, puisqu’elle publie son quatrième numéro, la revue « Lignes » offre, parfois sous forme de dossier, des études intéressantes. Sa dernière livraison, tout entière consacrée aux extrême-droites en France et en Europe, mérite une attention toute particulière.
Pas d’articles a sensation en effet, mais des notes sérieuses et bien documentées, produites par des chercheurs français et étrangers. Bien sûr, tous les articles ne sont pas d’égale valeur. Mais au moins cinq d’entre eux justifient l’achat de la revue. Ainsi ceux de Klaus Schooeks sur la « neue Rechte » en République Fédérale d’Allemagne et de Franco Ferraresi sur la droite radicale dans l’Italie d’après- guerre: une mine d’informations sur des mouvements très proches de la Nouvelle droite dont nous avons souvent dénoncé l’extrême nocivité.
En cette année de bicentenaire, les observations de Pierre Birnbaum sur le refus du particularisme juif dans la France moderne sont décapantes. Il analyse le célèbre « Essai sur· la régénération physique, morale et politique des juifs » de l’abbé Grégoire. Celui que beaucoup considèrent comme le grand émancipateur estime en fait que la destruction de la communauté juive, la dispersion de ses membres dans la société française et leur conversion sont les conditions nécessaires à l’acquisition de la citoyenneté. Vieux et faux dilemme de l’unité et de la diversité, pas encore résolu dans la France contemporaine puisque l’extrême-droite s’est une nouvelle fois développée en utilisant des thèmes d’exclusion.
Michel Winock réfléchit intelligemment sur l’éternel discours de la décadence, que J.M. Le Pen reprend à la suite de Drumont et de Barrès, mais il faut insister tout particulièrement sur l’excellente étude que donne Pierre-André Taguieff sur « L’identité nationaliste ». Dans un langage que le souci de rigueur conceptuelle rend parfois ardu, P.A. Taguieff examine dans le détail les attitudes, l’idéologie et la métapolitique de ce national-populisme dont le Front national est la plus récente expression. La tentative est plus difficile qu’on ne le croit, car le populisme recèle nombre d’ambiguïtés qui le font échapper aux catégories classiques établies par René Rémond. Par-delà ses variantes, Taguieff dégage un ensemble de traits constitutifs de ce courant (mobilisation transclassiste fondée sur des ressentiments, autour d’un idéal autoritaire exprimé par un tribun qui cultive la défense de l’identité menacée par la décadence et de multiples complots…). Fondée sur une conception radicale et dévoyée du sentiment d’appartenance, l’idéologie nationaliste est d’autant plus dangereuse qu’elle permet le passage de la thématique raciste à la politique raciste.
Car, malgré les dénégations de ses représentants – du moins dans leurs moments de respectabilité – il y a bien un fondement raciste au national-populisme, qui se traduit aujourd’hui par la célébration de différences absolutisées et qui révèle la toujours même angoisse du métissage. Appuyée sur une remarquable connaissance des textes, l’analyse de P.A. Taguieff est la plus complète et la plus lucide parmi toutes celles publiées. Ce qui ne saurait étonner les lecteurs du « Racisme et ses doubles ».
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Revue « Lignes », N°4, « Les extrêmes-droites en France et en Europe ». Librairie Séguier. Octobre 1988.
Article publié dans le numéro 508 de « Royaliste » – 6 février 1989
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