Nés à Odessa, adolescents pendant la guerre civile russe, puis émigrés en Palestine, Sioma et Tsipora ont formé un couple de révolutionnaires meurtris par les tragédies du XXe siècle.

Alors qu’en France on commémore distraitement le centième anniversaire de la fondation du Parti communiste français, la mémoire de l’engagement communiste s’étiole et risque de se réduire à quelques clichés. Ce serait regrettable car le communisme compta parmi les plus grandes tragédies du XXe siècle. Notre cher Raphaël Draï nous disait lors d’une conférence que “le communisme, c’est une prophétie qui a mal tourné”. Cela explique que l’extrême violence déclenchée par le bolchévisme ait porté avec elle de pures figures de militants saisis par la mystique révolutionnaire, le plus souvent meurtris ou broyés par l’appareil communiste.

Pur parmi les purs, Sioma Thabor baigne dès l’enfance dans l’ambiance révolutionnaire. Il a six ans quand son père lui raconte la Révolution de 1905 et le pogrom qui a ensuite frappé les Juifs d’Odessa. Il a huit ans quand il voit tomber son ami Gricha, mortellement touché lors du mitraillage d’une manifestation ouvrière. Il travaille pour un brocanteur tout en bénéficiant de l’enseignement de Yeshoua, un admirable professeur. A partir de 1917, Odessa subit toutes les tourmentes. Petlioura, chef de l’armée nationaliste ukrainienne, laisse opérer l’extrême droite pogromiste – les Cent-Noirs que Sioma affronte physiquement. Transporté vers une ambulance, il aperçoit une très jeune fille, Tsipora Eppelbaum, qui a appelé les secours. C’est la naissance d’un grand amour qui conduit Sioma a enlever Tsipora à sa famille, l’arme à la main. Le jeune homme est alors militant communiste mais il campe sur les marges. S’il fait la guerre dans la cavalerie rouge, il fréquente aussi un groupe sioniste minoritaire, le Poalé Zion, qui rêve, avec Martin Buber, de créer en Palestine un Etat binational réunissant les Juifs et les Arabes.

Dans la Palestine sous mandat britannique, Sioma et Tsipora participent au développement du Yishouv – les implantations juives – et voient progresser la violence : alors que certains sionistes veulent vivre et travailler avec les Arabes et rencontrent chez eux un accueil favorable, d’autres sionistes veulent une conquête militaire et la Main Noire du Grand Mufti de Jérusalem liquide par centaines ceux qui coopèrent avec les Juifs. En 1936, les manifestations juives et arabes contre les Anglais sont réprimées dans le sang. Arrêté, Sioma est expulsé vers l’Espagne avec plusieurs de ses camarades. Il laisse en Palestine l’admirable Tsipora et leur fils Alexandre.

Débarqué à Alicante début novembre, Sioma et son groupe de “Palestiniens” rejoignent immédiatement les Brigades internationales et sont affectés à la Cité universitaire de Madrid qu’ils défendent avec succès. C’est pendant ces combats acharnés que Sioma retrouve Jeanne Lev, journaliste radicalement indépendante qui n’hésite pas à faire le coup de feu mais qui dénonce les exécutions ordonnées par le NKVD avant d’être à son tour éliminée.

Après les horreurs de l’arrière et les batailles perdues, Sioma parvient à gagner la France. Interné au camp du Vernet, il a pu revoir Tsipora et son fils sur un quai de gare avant d’être expédié en Algérie au camp de Djelfa. Libéré en 1942, il rejoint Moscou puis la Palestine sans jamais revoir Tsipora, entrée dans la Résistance à Paris, arrêtée, déportée et gazée à Auschwitz. C’est à Paris, en 1958, que Sioma retrouve son fils Alexandre, rescapé des persécutions vichystes et nazies et devenu, au soir de sa vie, l’auteur du livre (1) qui sauve ses parents de l’oubli.

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(1) Alexandre Thabor, Les aventures extraordinaires d’un juif révolutionnaire, TempsPrésent, 2020. Préface d’Edgar Morin.

Article publié dans le numéro 1204 de « Royaliste » – Janvier 2021

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