Un Juppé ? « ça ne vaut rien ! »

Nov 4, 1996 | Res Publica

A plusieurs reprises, nous avons dénoncé les pratiques répressives qui visent de proche en proche les étrangers en situation irrégulière, les immigrés, les marginaux, les sans-abri, les grévistes qui occupent leur usine, et qui s’étendront, demain, à tous ceux qui osent exprimer, sur leur lieu de travail et dans la rue, leurs refus et leur révolte. Comme on le voit aux Etats-Unis, la gestion néolibérale de la société implique nécessairement que l’ordre soit maintenu à coups de matraque et d’années de prison.

Cette logique autoritaire se manifeste aussi dans le domaine économique. L’affaire Thomson montre, une fois de plus, que les opérations de privatisation et de « régulation » du marché se mènent dans le secret et se placent sous le signe de l’arbitraire.

Alors qu’une entente parfaite règne entre le président de la République et le Premier ministre, alors que le gouvernement dispose à l’Assemblée nationale d’une écrasante majorité, le sort d’industries décisives pour notre défense, pour notre développement industriel, pour notre puissance commerciale, se joue dans le bureau de Jacques Chirac. Aujourd’hui Thomson, demain l’Aérospatiale, la SNECMA, Air France, France Télécom.

Nous voudrions bien croire à la pertinence du mariage entre Thomson-CSF et Matra, mais comment avoir confiance en un président qui place le gouvernement, le Parlement et les citoyens devant le fait accompli ? Et si la cohérence et l’efficacité du nouveau groupe sont à ce point certaines, pourquoi nous refuse-t-on des explications détaillées ? Elles s’imposent d’autant plus que la corruption évidente des milieux dirigeants conduit nécessairement une partie de l’opinion a accréditer les rumeurs qui courent sur les manœuvres douteuses et les complaisances qui expliqueraient les décisions prises dans le domaine industriel et financier. Ces soupçons se répandent d’autant plus vite que le gouvernement ne respecte pas la procédure légale de privatisation, ni même le décret d’août 1995 qui la facilite puisque, dans l’affaire Thomson, le rôle de la commission de privatisation est de pure forme.

Ce comportement est d’autant plus inacceptable que les décisions prises en matière de privatisation consistent à tronquer, à brader, à donner des entreprises de pointe (Thomson Multimédia cédée pour un franc à Daewoo), des banques (le groupe CIC, La Marseillaise de crédit) et d’autres entreprises ou sociétés nationales (la Compagnie générale maritime, la Société Française de Production) avec une telle hâte que nous pourrions nous croire en situation de banqueroute.

Tel n’est pas le cas. On liquide pour complaire aux arbitres de la mode dans le monde des affaires. Immense saccage, pour rien. On liquide le patrimoine national, notre patrimoine, au mépris de l’intérêt du pays, au mépris des grandes et belles ambitions de ceux qui l’ont constitué, agrandi et enrichi : pas seulement les socialistes (quand il y avait encore des socialistes, en 1981) mais aussi, et surtout, le général de Gaulle. Il ne s’agit pas seulement de puissance économique, militaire, financière : ce qui est liquidé, c’est l’esprit de la Libération, et avec lui l’enthousiasme, la générosité, l’intelligence et les sacrifices de plusieurs générations.

On liquide, dans le complet mépris de celles et ceux qui travaillent dans ces entreprises et ces établissements, qui ont assuré les réussites et supporté les épreuves. Tous vendus, et maintenant cédés pour le franc symbolique avec les machines et les meubles, abandonnés aux calculs des financiers, qui tailleront froidement dans les effectifs. Avec, en guise de remerciements, les quatre mots prononcés par le Premier ministre pour justifier le bradage de Thomson Multimédia : « ça ne vaut rien ». Nul ne pourra plus désormais ignorer le cynisme d’Alain Juppé, qui reflète, en moins hypocrite, l’attitude du milieu dirigeant.

Pour un profit immédiat, ou simplement par bêtise, ce milieu dirigeant est en train de conduire l’industrie de notre pays à la ruine, de sacrifier des secteurs entiers de notre activité à une concurrence qui obéit à une logique de guerre, qui porte en elle la destruction et la mort ;

Ne nous laissons pas faire. On ne nous suicidera pas.

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Editorial du numéro 673 de « Royaliste » – 1996.

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