Il est possible que je n’entende rien à la politique des partis, il est probable que je ne comprenne rien aux motions de congrès. Comme tout téléspectateur abreuvé de petites phrases, comme tout lecteur des synthèses journalistiques, je suis sensible à une tonalité, je ne retiens qu’une impression d’ensemble.

En ce qui concerne le Parti socialiste, cette impression est désastreuse. Mais entendons-nous bien. Il ne s’agit pas, aujourd’hui, d’analyser sa stratégie, d’intervenir dans ses querelles internes, encore moins de mettre en doute la conviction de ses militants. Simplement, je m’interroge sur l’effet produit par les déclarations de ses dirigeants, et m’inquiète de ses conséquences. Quand Lionel Jospin répète, sur tous les tons, que les socialistes seront dans l’opposition après mars 1986 s’ils n’ont pas, à eux seuls, la majorité ; quand, de surcroît, les listes d’éligibles sont établies selon des anticipations fort modestes, nul ne peut s’empêcher de penser que le Parti socialiste annonce sa défaite et l’organise. Quand Michel Rocard adjure ses camarades de reconnaître leurs erreurs et frappe, sur leur poitrine, un énième mea culpa, nul ne peut s’empêcher de penser qu’il prépare, comme le lui a reproché Laurent Fabius à Toulouse, une nouvelle homélie pour soir de bataille perdue.

PROPHÈTES DE MALHEUR

Cette attitude est incompréhensible. D’abord pour des raisons tactiques : en annonçant sa défaite avant même d’avoir combattu, le P.S. conforte ses adversaires et, en prophète de malheur, risque de provoquer l’échec auquel il s’est d’avance résigné. Mais surtout pour des raisons de fond. Les socialistes se comportent comme si le Président de la République avait failli à sa mission, comme si le Premier ministre n’était pas à la hauteur de sa tâche, comme si le bilan du gouvernement n’était pas défendable. Tel n’est pas le cas. Au risque de paraître donner des leçons, il y a lieu de souligner l’ampleur des changements réalisés depuis 1981, l’importance historique d’un certain nombre d’acquis, et tout le positif de l’action du gouvernement. Précisons donc quelques-uns des points que l’histoire retiendra, en espérant que ce ne sera pas sous la forme du regret.

— Il y a l’acceptation de la Constitution de 1958, la fidélité à son esprit et le respect de sa lettre, qui a renforcé le consensus national autour des institutions et permis d’affirmer une idée nouvelle de la République, non plus négative et sectaire, mais inspirée par le souci du bien commun. Il est regrettable que Jean-Pierre Chevènement ne saisisse pas l’importance de ce fait et se lance dans l’apologie, rétrograde à tous égards, d’une idéologie républicaniste étrangère aux données culturelles et politiques de notre temps.

— Il y a l’apaisement de très anciennes querelles et la disparition de vieilles angoisses qui entretenaient dans notre pays, le climat de guerre civile que nous n’avons cessé de dénoncer. Le fait est que la question communiste, lancinante depuis 1920, n’est plus décisive pour la gauche et a cessé d’alimenter les passions nationales. Le fait est que la paix scolaire s’est instaurée, au terme d’un combat qui semble devoir clore près d’un siècle d’affrontements.

— Ce consensus institutionnel renforcé, cet apaisement politique réalisé, permettent de porter un jugement positif sur la politique présidentielle qui s’est inspirée des principes d’indépendance, d’arbitrage et d’unité et non, comme beaucoup le craignaient, de préjugés et de dogmes. Ainsi, en cinq ans, nombre de données de la politique française se sont trouvées modifiées ou bouleversées, et l’esprit public est en voie de transforma

SUCCES

Cette révolution tranquille a aussi affecté le socialisme. Non que le programme de 1981 ait été abandonné ou trahi : l’abolition de la peine de mort, les nationalisations, la décentralisation et nombre de réformes sociales ont été réalisées comme promis. Mais l’épreuve du pouvoir ne pouvait manquer de transformer les concepts, les méthodes et certains objectifs. Que ces transformations provoquent des débats à l’intérieur du Parti socialiste ne saurait faire oublier les succès de la politique gouvernementale, que le patronat lui-même est bien obligé de constater (1). L’inflation est maîtrisée, la balance commerciale s’améliore, le chômage progresse moins rapidement. En outre, un vaste mouvement de réformes sociales et financières (sur lesquelles nous reviendrons) montre le sérieux et la compétence de l’équipe actuelle, qui contraste fortement avec l’absence d’imagination et le comportement idéologique de l’opposition.

La difficulté est que l’opinion publique juge en fonction de mauvais souvenirs, le paradoxe est qu’elle approuve la politique de nombreux ministres tout en manifestant sa méfiance à l’égard du gouvernement. Mais rien ne dit que cette difficulté et ce paradoxe soient insurmontables. Il suffirait de souligner les acquis et d’expliquer les projets pour que la tendance se retourne. Que ne le fait-on, au lieu de compter les voix qui seront perdues et de se disputer les sièges qui pourront être sauvés ?

***

(1)    Cf. Le Bulletin de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières du 24 septembre 1985.

Editorial du numéro 435 de « Royaliste » – 23 octobre 1985.

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