« Les gens qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde sont ceux qui le font » (Steve Jobs). À l’évidence, le monde change. Cette transformation est-elle le fruit d’une action humaine ou la conséquence de l’impuissance de l’homme face à des causes qui le dépassent ? La réponse à cette question n’est pas évidente. La guerre russo-ukrainienne joue le rôle de catalyseur d’une révolution dans la conduite des relations internationales. 2023, « l’année des deux guerres » connaît un repositionnement des principaux acteurs sur le nouvel échiquier mondial à l’occasion de sommets : OTAN (Vilnius) ou BRICS (Johannesburg) Le terme d’alignement renaît de ses cendres. Nous l’appréhenderons dans son acception suivante : se conformer à la politique ou à l’autorité d’une entité. En simplifiant, l’on peut imaginer le monde autour de deux blocs traduisant chacun une déclinaison d’une forme d’alignement pour les uns, voire de non-alignement, pour les autres.
LE NORD OUEST SÛR DE LUI-MÊME ET DOMINATEUR
Quid de la théorie ? Avec l’éclatement de l’URSS et la fin du monde bipolaire, l’ordre international est dominé par un Occident – de facto les États-Unis, peuple à la destinée manifeste – animé par un sentiment d’hubris. Il considère que nous devions nous diriger vers un monde unipolaire aligné sur les standards occidentaux. Il n’en a rien été. Guerres catastrophiques conduites en Irak, en Libye, en Afghanistan, volonté d’exporter aux quatre coins de la planète la démocratie, ses valeurs, d’imposer sa conception des droits de l’homme à géométrie variable, de répéter le mantra éculé de la mondialisation « heureuse » … en apportent la preuve. En un mot, une volonté de faire la leçon à des peuples aux histoires, cultures, traditions différentes des nôtres. Toutes choses qui finissent par irriter le Sud, par détourner son regard du Nord, par faire valoir sa soif d’indépendance réelle ou formelle. Il récuse le modèle occidental comme référence universelle. Il n’a aucune appétence pour un alignement aveugle sur la vision du monde américaine.
Quid de la pratique ? En dépit de la confrontation avec le réel, l’Occident a toujours les yeux de Chimène pour le rêve américain. Et, les exemples ne manquent pas. Alors que certains avaient jugé l’OTAN « en état de mort cérébrale » (Emmanuel Macron, 3 décembre 2019), la guerre russo-ukrainienne la réveille, en en faisant un instrument de puissance, d’influence sur le reste du monde. À Bruxelles, les « alliés » de Washington jouant le rôle d’idiots utiles. Les États-Unis s’évertuent à mettre en place une sorte d’OTAN asiatique à travers plusieurs formations à vocation sécuritaire : Quad (États-Unis, Inde, Japon, Australie), Aukus (États-Unis, Royaume-Uni, Australie), Chips sur le marché des semi-conducteurs (États-Unis, Taïwan, Corée du Sud, Japon), alliance tripartite à l’issue du sommet de Camp David (États-Unis, Japon, Corée du Sud). L’Amérique impériale entend diriger le monde selon son bon vouloir. L’ONU est réduite à l’impuissance face à l’approfondissement du désordre international (conflit Israël-Palestine, plus récemment). L’Union européenne préfère s’élargir que s’approfondir. Le bloc occidental (une cinquantaine de pays) pratique l’alignement quasi-systématique sur les positions américaines. Mais cela ne va sans entraîner une forme de ressentiment contre ce bloc impérial alors que les défis, que le Nord doit relever, sont immenses et de toutes natures : politiques, diplomatiques, économiques, sécuritaires, climatiques, migratoires, technologiques …
L’Occident redoute de voir se forger une alliance remettant en cause l’ordre mondial existant mais surtout sa prééminence dans un climat de « dissensus idéologique » (Gilles Andréani).
LE SUD-EST COMPLIQUÉ AVEC DES IDEÉS SIMPLES
Que représente ce « Sud global » ? L’impact de la guerre en Ukraine se fait sentir partout dans le monde. Sous l’influence de la Chine (qui a inversé le rapport de force avec la Russie), le groupe des BRICS (né en 2003 à la faveur de la guerre en Irak sous l’impulsion du Brésil) passe en mode offensif. Il cherche à élargir son influence afin de faire pendant au bloc occidental. À titre indicatif, Pékin veut faire des BRICS (groupe informel de cinq grandes nations émergentes : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) un rival du G7. Une vingtaine de candidats souhaitaient rejoindre le groupe. Six sont retenus lors du sommet de Johannesburg de 2023 : Égypte, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Iran, Argentine, Éthiopie. Ils sont désormais onze et représentent 36% du PIB global et 40% de la population mondiale. Leurs revendications identitaires ne sauraient être ignorées. Ce groupe est de plus en plus courtisé. Même si ses membres entretiennent des rapports différents avec l’Occident et certains ne veulent pas entrer en conflit avec ce dernier (pluri-alignement), ils restent relativement soudés sur la question ukrainienne et palestinienne.
Quelles sont les ambitions de ce groupe ? Proposer un nouvel ordre mondial, plus juste et plus égal, aujourd’hui dominé par les États les plus riches de la planète. Il se décline en divers objectifs : proposer un nouveau multilatéralisme, un monde multipolaire, une « dédolarisation » de l’économie. Ces États se retrouvent pour condamner les empiétements occidentaux. Même si les contradictions ne manquent pas en leur sein (entre la Chine et l’Inde), le signal politique envoyé est clair : mettre fin à l’ordre ancien. Comment ? Ils considèrent le multilatéralisme et l’universalisme comme des principes à géométrie variable utilisés à sa guise par l’Occident. Ils acceptent de moins en moins ses diktats. D’où leur réserve grandissante à l’égard de ce modèle fait de rapports de puissance qu’ils contestent. Tout ceci les invite à la réflexion. Mais laquelle ? Dans quel cadre ? Avec ou contre les autres blocs ? Ils sont persuadés que les vieilles recettes sont inappropriées alors que l’axe de la planète se déplace de l’Ouest vers l’Est, du Nord vers le Sud. Ils rêvent d’égalité mais pas d’égalitarisme. Ils s’inspirent de la formule de Raymond Aron : « Le choix politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable ». Mais comment peser sur un débat encore inexistant dans la mesure où ils ne forment ni une alliance, ni une coalition ?
LE PASSÉ SE RECONJUGUE AU PRÉSENT
« Là où il y a volonté, il y a toujours un chemin » (Guillaume d’Orange). Le monde évolue dans « une grande bascule et un grand bouleversement » (Emmanuel Macron). Émergent de nouveaux acteurs, de nouvelles règles du jeu. Il faut impérativement changer de grilles d’analyse, envisager d’autres postulats. Les Occidentaux le veulent-ils, le peuvent-ils ? Rien n’est moins sûr tant la tactique l’emporte sur la stratégie, le court terme sur le long terme, la parole sur les actes, la communication faisant office d’action. Le règne de la puissance impériale s’achève. Face à « un double étirement géopolitique, à la fois Est-Ouest et Nord-Sud » (Justin Vaïsse), il faut repenser notre logiciel. Ce ne sont pas quelques projets isolés qui constitueront une réponse globale cohérente permettant de poser le diagnostic pertinent et de prescrire les remèdes idoines. L’essentiel consiste à pouvoir définir quelle architecture de sécurité et de confiance nous souhaitons pour le XXIe siècle ? Un projet pour le monde de demain, sorte de retour vers le passé d’un affrontement bipolaire.
Jean DASPRY
pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
En décembre dernier, Jean Daspry a publié sur le présent site un article intitulé « Ukraine : Et si la Russie l’emportait ? »
Il n’est plus possible d’y adjoindre un commentaire, aussi je me permets de le faire ici, sans craindre d’être par trop hors-sujet.
« Vers le monde de demain, ou retour vers le passé ? » étant le titre du présent billet, j’y répondrai d’abord : « les deux mon général ! »
Retournons donc vers 2014 , en compagnie d’Ivan Katchanovski, un universitaire ukrainien, établi au Canada, où il a un poste dans une université.
Au Canada, où en septembre dernier les parlementaires ont fait une standing ovation à un ancien combattant ukrainien de la dernière guerre mondiale, qui s’avéra s’être enrôlé dans une formation SS ayant laissé de cuisants souvenirs à Oradour .
Comment imaginer que le Canada puisse laisser s’exprimer sur son sol, dans une de ses universités, un homme dont les propos pourraient être compris comme de la propagande pro-russe ( ce dont l’intéressé se défend assurément) .
Pourquoi dis-je cela ?
Parceque, Ivan Katchanovski , qui travaille donc au Canada ou il a un poste universitaire, s’est intéressé aux faits qui se sont déroulés en 2014, au Maidan, et il est arrivé à la conclusion, d’abord confirmée par les tribunaux ukrainiens, qu’il y eut en effet 2 Maidans ; qu’après le premier, démocratique, il y eut un coup d’état, conséquence d’un massacre perpétué non par les forces de l’ordre, mais par des éléments d’extrême droite dont il a minutieusement documenté les positions ce jour là.
Ivan Katchanovski a écrit des articles ; un livre également, qui va sortir prochainement en plusieurs langues.
On aura un aperçu de son parcours en lisant l’article ci-après ou en se référant à ses tweets :
https://consortiumnews.com/2023/10/20/the-maidan-massacre-censorship-ukraine/
https://nitter.cz/I_Katchanovski
« The Maidan Massacre Trial and Investigation Revelations: Implications for the Ukraine-Russia War and Relations »
Avis aux méfiants : c’est publié par les éditions Brill [ wikipensebien rapporte : « Brill est une maison d’édition néerlandaise œuvrant depuis 1683 … et basée à Leyde. Connu sous diverses appellations (Luchtmans, E. J. Brill, Koninklijke Brill, Brill Academic Publishers) et doté d’un catalogue scientifique et historique bien fourni, l’éditeur compte comme sa clientèle la plus importante, les bibliothèques et institutions universitaires occidentales.]
https://brill.com/view/journals/rupo/8/2/article-p181_5.xml
PS : je n’arrive pas à comprendre – ou je comprends trop bien?- pourquoi Le travail d’Ivan Katchanovski est si peu connu ; je crois me rappeler toutefois que le Journal du Dimanche en avait fait part , mais je n’arrive pas à en retrouver trace !
Bien à vous !
Une erreur surprenante : M. Daspry cite l’Argentine dans les BRICS-11. Pourtant son article est daté du 10 janvier, date à laquelle le retrait de l’Argentine a officiellement été acté, au tout début de janvier de mémoire.
Deux erreurs
– l’Argentine avec Javier Mileî, son président élu en décembre dernier s’est retirée des BRICS.
– il manque un l à dollarisation.