Tel qu’il s’esquisse en ce début d’été, le jeu parlementaire ne se réduit pas à des manœuvres tactiques entre la majorité et les groupes d’opposition. La distinction entre la droite et la gauche reste à certains égards pertinente puisqu’elle trace une infranchissable frontière entre les états-majors du cartel des gauches et l’appareil du Rassemblement national. Mais dans la nation, la principale ligne d’affrontement est depuis longtemps établie entre le bloc oligarchique et les partis protestataires, selon une dynamique de lutte de classes.
Pendant vingt ans, le bloc oligarchique a pu exercer sa domination en donnant pleine cohérence à un système idéologique et social que nous avons maintes fois disséqué : atlantisme, soumission aux organes de l’Union européenne, culte de l’euro et du “modèle allemand”, apologie de la globalisation financière et du marché mondialisé, politique austéritaire invoquée au nom de la compétitivité.
Sous différentes enseignes, les partis de droite et de gauche se sont fondus dans ce bloc, relié aux formations oligarchiques de nos voisins et à la technostructure eurocratique pour assurer ce qu’on peut appeler la défense du Capital ou la défense de la richesse. Nous avons trop souvent dénoncé les concessions faites par la France insoumise et le Rassemblement national à l’européisme pour que j’y revienne car il nous faut tenter de saisir les évolutions en cours.
Même s’il a perdu la majorité absolue, le parti macronien et ses alliés potentiels pourraient maintenir leur domination si le système qu’ils défendent n’était soumis à de croissantes contradictions. La déflation salariale impliquée par l’euro provoquait de violentes injustices sociales qui ont été rendues tolérables, au prix d’explosions de colère, par la relative stabilité des prix. L’austérité assurait les profits et les injections massives de monnaie par les Banques centrales encourageaient des spéculations inouïes, au détriment des investissements dans l’économie réelle. En accord avec les autres dirigeants européens, Emmanuel Macron avait prévu d’imposer une nouvelle réforme des retraites assorties d’un durcissement de la cure austéritaire. C’est ce dispositif qui est en train de se disloquer sous nos yeux.
Le mouvement de hausse des prix, qui s’amplifie et tend à se généraliser, place l’oligarchie devant d’insolubles problèmes. La Banque centrale européenne doit remplir trois tâches simultanées : la lutte contre l’inflation, le maintien de la croissance par injection de monnaie et la préservation de la zone euro contre une nouvelle crise des dettes souveraines.
Pour lutter contre une inflation qui provient en partie de la surabondance des capacités spéculatives, la Banque centrale a pour seule solution la hausse des taux d’intérêt. Mais cette hausse, qui augmente le coût des emprunts pour les particuliers et les entreprises, va provoquer une récession qui dégradera la situation financière de nombreux pays. C’est pourquoi on apprenait en juin que les spéculateurs internationaux commençaient à “tester” l’Italie, qui voit augmenter les taux d’intérêt auxquels elle peut emprunter… Mais si la Banque centrale européenne n’agit pas contre l’inflation, elle provoquera le mécontentement des rentiers – l’inflation est un impôt sur le capital – et la colère des salariés.
Ce grossier résumé conduit à deux constats. D’un point de vue général, le système eurocratique et le système financier international subissent les conséquences de la crise de 2008, qui a été traitée par des injections massives de monnaie à la manière d’un anesthésique qui se transformerait en poison mortel. De manière plus spécifique, les classes salariées moyennes et populaires et les retraités modestes, qui ont été sacrifiés au nom de l’austérité par le moyen de la déflation salariale, sont encore une fois les victimes d’un système agonisant puisque l’inflation frappe surtout les classes moyennes et populaires.
Les mouvements de grève qui éclatent en ce début d’été annoncent une longue période de lutte pour la justice sociale. Cette exigence prend la forme concrète d’une bataille pour une nouvelle répartition des revenus, afin qu’elle soit nettement favorable aux salariés. Dans les mois qui viennent, c’est la lutte des classes qui va animer la scène parlementaire en même temps que nos rues.
Autour d’Emmanuel Macron, l’oligarchie politique et ses groupes de soutien – le haut patronat, les cadres supérieurs, les retraités aisés – sont et resteront mobilisés pour la défense de leurs richesses. La France insoumise qui représente, entre autres groupes sociaux, une partie des classes moyennes et le Rassemblement national, qui recueille les suffrages d’une grande partie de l’électorat populaire, vont être placés devant leurs responsabilités. Il leur faudra faire des choix décisifs et souvent radicaux sur la zone euro, le libre-échange et la libre circulation des capitaux, s’ils veulent rester fidèles à leurs promesses. Quant à ces deux formations, c’est dans cette attente que nous suspendons notre jugement.
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Editorial du numéro 1238 de « Royaliste » – 4 juillet 2022
Très bon résumé de la situation. Mais il ne faut pas oublier que la vraie majorité (et absolue celle-là), c’est le « parti » des abstentionnistes. On le comprend, il n’y a rien à espérer des forces en présence.
Le « Rassemblement » « National » optera pour des positions électoralement payantes. on l’a bien vu justement sur l’euro et sur l’Europe où ses positions ont profondément changé. Ce qui est grave, c’est que beaucoup de Français se laissent abuser par cette escroquerie politique.
Alors que la Restauration nationale s’est toujours tenue à l’écart du « lepénisme » , on constate que leurs héritiers n’ont pas la même lucidité. Espérons que la NAR ne suivra pas le même chemin.