A propos des catholiques de droite – par Dominique Decherf

Nov 10, 2022 | Billet invité

 

Ancien ambassadeur de France, observateur avisé du catholicisme français auquel il a consacré deux essais, Dominique Decherf a lu l’essai que Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou viennent de consacrer à la droite catholique.

Qu’aurait pensé Emile Poulat ? Pour ce sociologue du catholicisme, tout ne se résumait pas au politique ni à une opposition binaire droite-gauche. L’histoire de l’Eglise, et singulièrement les débats conciliaires de Vatican II, ne sauraient être ramenés à de la politique électorale ni à des idéologies séculières. Pour lui, au-delà des catégories partisanes, le catholicisme se situait en surplomb (Le christianisme à contr’histoire, Editions du Rocher, 2002). C’était « l’envers de l’histoire contemporaine » de Balzac, un catholicisme souterrain, « modeste », qui ne se réclamait ni des Chouans ni du Père Goriot.

A la droite du Père, qui fait écho à d’autres titres depuis A la gauche du Christ (Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, (2012), A la droite du Christ, (Olivier Landron, Les catholiques traditionnels en France, Cerf, 2015), ou « A la droite de Dieu » (Corinne Bonafoux-Verrax, La Fédération nationale catholique, Fayard, 2004 ; Jérôme Fourquet, Le réveil identitaire des catholiques, Cerf, 2018), se situe d’emblée dans la ligne du Fils qui « siège à la droite du Père », alors que tant d’interprétations avaient plutôt figuré le Christ à sa gauche.

Faut-il faire une distinction entre le Christ, c’est-à-dire le Messie, et le Fils, et ceux qui, à sa suite, peuvent être appelés fils de Dieu ? En définitive, si le Fils est à droite du Père, le Père, autant qu’Il puisse être identifié, serait au centre, ce centre totalement absent de la catégorisation des auteurs. Parce que la démocratie chrétienne s’est finalement brisée entre gauche et droite au lieu de les ordonner au bien commun ? Latent sous l’anticommunisme de la Guerre froide, dans cette faille ouverte, la française – le MRP (Mouvement républicain populaire) -, la plus fragile, est la première à s’y perdre –  sabordé en 1965 -, la D.C. italienne en 1990, la CDU-CSU allemande et les formations social-chrétiennes belges se survivant à ce jour, sans doute parce que plus évidemment de droite dans le contexte local.

En 1954, quand René Rémond publie la première édition de ses Droites en France, les choses n’étaient pas tranchées. Florian Michel dans son introduction définit précisément le projet de l’ouvrage collectif de 2022 par opposition à celui de Rémond. Ce dernier aurait délibérément minoré le facteur catholique dans sa classification des droites parce qu’il estimait que celui-ci était appelé à régresser et les courants de gauche à progresser. On peut au contraire voir dans son approche la même ligne que celle suivie par Poulat. Rémond se refuse – et persiste dans les éditions plus récentes – à déchirer la tunique sans couture, à voir sombrer l’universalité catholique, encore magnifiée au Concile, rattrapée par la politique. Les auteurs de A la droite du Père lui reprochent le « profil perdu » derrière lequel Rémond justifiait son parti-pris méthodologique. Ils décident d’adopter à l’inverse ce qu’ils appellent un « portrait de face ».

Qu’est-ce que ce « profil perdu » ? En beaux-arts, c’est « la vue de trois-quarts dos, celle qui permet de peindre les personnes qui s’éloignent et qui par nature, efface les traits distinctifs du visage ». C’est, depuis Moïse, la seule manière dont l’homme peut porter son regard vers Dieu. On ne peut le voir en face sans mourir. C’est aussi la façon dont Jésus décrivait le Publicain de trois quarts dos derrière la colonne du Temple, dans la nef latérale, au contraire du Pharisien clairement portraituré de face au premier rang.

Le projet des auteurs de A la droite du Père est d’apporter des réponses aux questions qu’aurait à dessein éludées l’historien-phare du catholicisme et des droites pour des générations d’étudiants.

Les auteurs, qui prennent le parti de l’historicisation de leur sujet, distinguent trois étapes : une première de 1945 à 1958 : politique instable, Eglise immuable ; la seconde de 1958 à 1974, une brève période de « concordisme » où gaullisme et concile se conjuguent avant d’entrer tous deux en crise après 68 ; une troisième enfin depuis 1974 où à nouveau politique et catholicisme divergent, la politique poursuivant son mouvement sinistrogyre, le catholicisme entrant dans un mouvement destrogyre, – emprunts des termes respectivement à Albert Thibaudet (1) et à Guillaume Bernard (2) -, avant de parvenir depuis 1997 à « l’âge minoritaire ».

Au début de l’exercice, un René Rémond, dès l’échec de l’expérience mendésiste, qu’avait attiré aussi un François Mauriac, entérine la fin programmée du projet catholique de reconquête de la société, qui venait de l’Action catholique du fond des années trente, avait mûri sous l’Occupation, et devait s’incarner dans la « révolution par la loi » prônée par le MRP. A droite ou pas, mais en tout cas catholique.

A la fin de l’exercice, Yann Raison du Cleuziou, qui conclut l’ouvrage collectif, s’interroge à son tour sur le hiatus entre droite et catholicisme, après l’échec de la Manif pour tous (qu’il avait qualifiée de Contre-révolution catholique, Seuil, 2019) et l’impuissance de la droite catholique ou des cathos de droite à influencer la politique nationale, y compris à droite. Les dernières pages, plus riches de doutes que de convictions, mettent en évidence tant le malaise des droites, partagées entre identité et union, que la crise profonde du catholicisme – au moins à l’échelle européenne. Trop de pistes, comme autant d’impasses, mériteraient chacune d’être explorées. Catholique ou pas, en tout cas de droite.

L’ouvrage, de facture chronologique, est complété par un cahier thématique de 80 pages bien serrées, sur quinze sujets transversaux ordonnés en quatre chapitres, évitant la forme du dictionnaire, qui permettent de prendre de la distance par rapport à l’actualité et à l’histoire politique, et une plongée rafraîchissante au fond des choses, avec une dimension plus spirituelle que le reste de l’ouvrage.

Au total trente-et-un contributeurs, aux profils académiques tous de haute tenue, ont été réunis, ce qui en dit beaucoup sur l’intérêt renouvelé pour une discipline longtemps occultée pour de bonnes et de mauvaises raisons depuis René Rémond et Emile Poulat et en dépit d’eux.

Dominique DECHERF

(1) Albert Thibaudet, Les idées politiques de la France, 1932, Antoine Compagnon, « le théorème de Thibaudet », Le Débat, n°191, 2016/4.

(2) Guillaume Bertrand, La guerre à droite aura bien lieu ? DDB, 2016.

Sous la direction de Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou, A la droite du Père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours, Seuil, 2022.

Dominique Decherf, Emile Poulat, Le christianisme à contre-histoire, Editions du Rocher, 2003.

Dominique Decherf, Jean Le Cour Grandmaison, Catholique avant tout, France-Empire, 2018 ; L’aumônier du Palais, Yves de La Brière (1877-1941), Un internationaliste chrétien au temps de la Société des Nations, France-Empire, 2021.

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