Le premier tour des élections législatives avait souligné la radicalité de la rupture entre les classes moyennes et populaires reléguées dans la France périphérique et les classes possédantes confortablement nichées au cœur des métropoles. Ce n’était pas une surprise. La progression régulière du lepénisme ponctuait la colère croissante des victimes du capitalisme financier et des réformes néo-libérales lancées sous l’égide de Bruxelles et mises en œuvre par les diverses gouvernances parisiennes. Au fil des déceptions engendrées par la gauche, le parti lepéniste était devenu l’instrument politique d’une lutte de classes qu’il était incapable de faire aboutir comme nous l’avons à maintes reprises souligné. Ayant ajouté la promesse d’une augmentation du pouvoir d’achat à son discours sur l’immigration, le Rassemblement national semblait cependant détenir les clés de la victoire.

Les succès obtenus aux européennes et au premier tour des législatives lui ont fait espérer, sondages à l’appui, une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Mais ces sondages gratifiants ont semé l’effroi et le Rassemblement national a connu le même blocage que le Parti communiste naguère : on utilise un parti protestataire pour montrer son hostilité aux puissants, mais on ne veut pas que le pouvoir politique tombe entre les mains d’extrémistes.

En renonçant aux points saillants de son programme social, en jetant le soupçon sur les citoyens binationaux, en présentant des candidats peu ou pas formés, voire franchement racistes, le Rassemblement national a renforcé les doutes, accru les peurs et provoqué les désistements qu’on disait impossibles. Après avoir bénéficié du vote de rejet de l’oligarchie, il en est la victime et sa nette progression en sièges est ressentie par ses militants comme une défaite. S’il en tire des leçons, elles seront sans portée : c’est sa nature même de parti protestataire qui lui assigne des limites dans les consultations décisives. Ces limites sont d’autant plus fortes que le Rassemblement national, à la différence du Parti communiste, n’est pas un parti de lutte des classes et ne songe pas à le devenir, faute d’une tradition porteuse et d’un imaginaire mobilisateur. Marine Le Pen ne sera jamais rien d’autre que la rentière du malheur français.

Surpris et ravi de ses bons résultats au soir du 7 juillet, le Nouveau Front populaire pourrait devenir le parti des classes moyennes et populaires et remporter les élections présidentielle et législatives de 2027 en rejetant le Rassemblement national dans les marges. Cette hypothèse séduisante se heurte à des obstacles qui vont prendre la forme d’une impasse. Il y a bien sûr la guerre des candidats à la candidature pour 2027 qui va passionner les médias. Il y a aussi les profondes divergences entre les sociaux-démocrates, les Verts et les Insoumis. Il y a surtout le problème non-résolu de l’attitude à prendre face aux organes de l’Union européenne. Il est facile d’évacuer ce point décisif lorsqu’on fabrique un programme électoral mais les socialistes et les Verts qui participeraient à un gouvernement de coalition seraient confrontés à des choix immédiats.

Nul n’ignore que le système de “monnaie unique” implique la dévaluation des salaires qui tente de compenser, en matière de compétitivité, l’impossibilité de soutenir les producteurs nationaux par la dévaluation de la monnaie. Mais comment contester la gestion de l’euro par la Banque centrale européenne quand on se proclame fédéraliste européen ? Et comment résister à la Commission européenne qui exige la réduction de notre déficit budgétaire si l’on ne s’est pas préparé à une épreuve de force de type gaullien ? Comment, enfin, résister à la pression des marchés financiers, si l’on accepte la libre circulation des mouvements de capitaux ?

Nous avons vu Jacques Delors lancer le “Marché unique” et des socialistes défendre la “concurrence libre et non faussée”. Nous avons vu Lionel Jospin et la “gauche plurielle” favoriser le passage à l’euro. Nous avons vu François Hollande accepter avec le soutien des Verts le Pacte budgétaire européen, se soumettre aux injonctions de la Commission européenne et soutenir en 2015 le dispositif de soumission et de punition de la Grèce.

Nous prendrons au sérieux le programme du Nouveau Front populaire lorsque nous connaîtrons les compromis qui permettront sa participation  à un gouvernement, lorsque nous constaterons que les ministres de gauche résistent aux diktats de Bruxelles et à d’éventuelles manœuvres spéculatives contre la France.

Il n’y a pas de politique possible sans reconquête de notre souveraineté monétaire, budgétaire et commerciale. Précisons : tout programme de reconstruction économique et de justice sociale impose, en préalable, l’ouverture d’une crise visant une réorientation radicale de l’Union européenne et une réorganisation de ses structures. Si la gauche n’a pas le courage de ces ruptures et de ces refondations, il ne lui sera pas possible de réorganiser le territoire selon le double impératif de la transition écologique et de la réunification de notre nation dramatiquement fracturée.

Le Comité directeur de la Nouvelle Action royaliste

Editorial du numéro 1282 de « Royaliste » – 8 juillet 2024

 

 

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4 Commentaires

  1. Philippe Delorme

    Je rajouterai souveraineté culturelle et migratoire mais LFI incarné dans ces domaines le plus dangereux extrémisme idéologique

    Phd

  2. RR

    « La progression régulière du lepénisme ponctuait la colère croissante des victimes du capitalisme financier et des réformes néo-libérales lancées sous l’égide de Bruxelles et mises en œuvre par les diverses gouvernances parisiennes. »

    Le lepénisme n’est qu’une pseudo-idéologie dont la seule ambition est d’assurer une rente financière à la famille Le Pen. Il n’est ni l’héritier du nationalisme français ni du fascisme ni d’ailleurs d’un quelconque courant politique.
    C’est pour cette raison qu’il est passé en cinquante ans du coq à l’âne sur la plupart des sujets.
    On ne voit cela nul part ailleurs, que pour son malheur dans notre pays. On ne peut souhaiter que sa disparition de quelque tendance politique que l’on soit.

  3. RR

    Quand je pense que Le Monde qui passe pour un quotidien de référence a osé titrer un de ses articles « Le « marinisme » est-il un péronisme ? » , je me demande ce qui se passe dans le cerveau de certains de ses journalistes.

    Comment peut-on ne serait-ce qu’un instant faire un parallèle entre la « pensée » vide d’une avocate ratée et une doctrine établie (dont je précise je ne suis pas adepte).

  4. RR

    « Au fil des déceptions engendrées par la gauche, le parti lepéniste était devenu l’instrument politique d’une lutte de classes qu’il était incapable de faire aboutir comme nous l’avons à maintes reprises souligné. »

    Le R »N » fidèle à lui-même à la pointe des mesures anti-sociales. Ainsi il est à l’initiative d’une mesure visant à suspendre dans certains cas le repos hebdomadaire des ouvriers agricoles. Comme si jusqu’alors ce repos indispensable pour la santé des travailleurs avait empêché les récoltes (mais il est vrai exigeait davantage de personnel ce qui est encore trop pour les employeurs). Bien entendu le pouvoir macroniste s’est empressé de répondre favorablement à la secte lepéniste par un décret décidé en urgence.
    Quant on pense à ces exploités qui votent R »N », on peut légitimement s’inquiéter.