Faire l’impasse sur la Résistance, c’est manquer la révolution de 1944 (1) et réduire la 4ème République au jeu médiocre des partis pris dans la Guerre froide et dans le mouvement de décolonisation.
Souvenons-nous. Fruit d’une réflexion commencée à Londres, le programme du CNR organise la lutte de libération nationale et la prolonge par un projet politique. Quant aux « mesures à appliquer dès la libération du territoire », le premier point précise que le CNR doit rester uni « afin d’établir le gouvernement provisoire de la République formé par le général de Gaulle pour défendre l’indépendance politique et économique de la nation, rétablir la France dans sa puissance, dans sa grandeur et dans sa mission universelle ». Il s’agit d’établir la liberté et l’égalité de tous devant la loi ; d’organiser l’économie en vue de l’intérêt général par le moyen du plan, par la nationalisation des grands moyens de production, de l’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ; de mener une politique de justice sociale et de participation démocratique des travailleurs à l’activité économique… La révolution de 1944 se fait par la loi.
Tout serait à citer – et à méditer – mais il faut en venir à l’essentiel : la planification, les nationalisations, la juste répartition des revenus sous l’égide d’un Etat qui dirige effectivement l’économie, conduisent à instituer un authentique socialisme démocratique, selon le vœu de la nation et des principales forces politiques et syndicales. Le peuple français voulait la reconstruction puis la croissance fondée sur le principe de justice sociale. Les institutions politiques étaient faibles mais la vieille et solide Constitution administrative de la France a permis que l’Etat réponde à cette volonté. Jacques Julliard expose très bien la pensée de Léon Blum – j’admire comme lui ce grand homme de la République (2) – et montre que Maurice Thorez, obligé de se soumettre à Staline en 1947, souhaitait sans doute rester au gouvernement pour poursuivre le travail de reconstruction. Mais je m’étonne de ne pas trouver la moindre référence à William Beveridge, l’auteur en 1942 du Rapport au Parlement sur la sécurité sociale et les prestations connexes, à Pierre Laroque, créateur de la Sécurité sociale, à Pierre Massé, théoricien et praticien de la planification indicative. Le socialisme démocratique n’était pas tout entier chez les socialistes et les communistes. Il procédait, comme le souligne Marcel Gauchet, d’une réinvention de la démocratie (3) et il a trouvé un degré supérieur de cohérence après 1958, lorsque la Constitution politique, la Constitution administrative, la politique sociale et la politique économique, la politique étrangère et la politique de défense tendaient à la pleine affirmation de l’indépendance nationale.
Dès lors, comment ne pas s’interroger sur le rôle qu’à joué le général de Gaulle dans l’histoire des gauches ? L’artisan de la décolonisation, de la paix en Algérie, de la sortie de l’OTAN, de l’opposition à l’impérialisme américain, le chef d’Etat qui préside au développement industriel et à la modernisation de l’agriculture ne peut être classé ni à droite, ni au centre. Face à l’atlantisme des socialistes, à leur rêve supranationaliste, c’est lui le novateur qui concrétise pour la nation française l’idée émancipatrice qu’il veut partager avec les alliés de la France. Alors ? Il ne suffit pas d’évoquer le jeu entre le Général et les partis de gauche : c’est la pensée gaullienne qu’il faut tenter de situer. Jacques Julliard n’ignore pas la question, mais il la traite selon des catégories qui manquent de pertinence.
Comment peut-on encore reprendre les distinctions illusoires qui figurent dans le livre de René Rémond sur les droites françaises ? Au XXe siècle, la droite légitimiste est introuvable, sauf en des cercles très retreints. L’orléanisme n’est plus qu’un mot vidé de sa signification, qui désigne les partisans du libéralisme économique – alors qu’au XIXe siècle l’orléanisme s’organise après 1830 autour de la monarchie royale, parlementaire et tricolore. Reste le bonapartisme, dont René Rémond et Jacques Julliard affublent le général de Gaulle, homme d’Etat républicain, ennemi du despotisme, qui a rétabli dans la pensée et dans la pratique politique le principe de légitimité et qui souhaitait que la monarchie élective puisse se transformer en une monarchie royale, parlementaire et démocratique – ce qui aurait été l’aboutissement du projet esquissé au XIXe siècle par la Maison d’Orléans. Jacques Julliard ne me suivra pas dans ce développement, mais je souhaiterais qu’il reconnaisse au moins que la Ve République n’est pas un régime présidentiel puisque le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale.
Somme toute, Charles de Gaulle fut un homme d’Etat légitimiste, au sens où il fonde les institutions sur un principe de légitimité qui s’établit selon trois critères : l’histoire, les services rendus à la nation, le consentement du peuple souverain. Sa politique économique est authentiquement socialiste et sa politique étrangère résolument anti-impérialiste. Telle est la synthèse gaullienne, qui a complètement désorienté la gauche entre 1958 et 1968 parce que son programme y était accompli sans le concours des dirigeants de la gauche, grâce à des institutions et grâce à un homme que la gauche récusait.
Encore un mot sur les catégories établies par Jacques Julliard : le « jacobinisme » qui caractériserait l’une des familles de la gauche brouille les cartes. Comme pour l’orléanisme, le signifiant est vide de signifié puisque les prétendus jacobins n’appellent plus à la dictature de salut public, puisque le jacobinisme n’est pas une doctrine de l’Etat, qui fut en 1793 tout entier résorbé dans la passion révolutionnaire. Aujourd’hui, mieux vaudrait parler d’une gauche dirigiste – le terme n’est en rien péjoratif – pour désigner ceux qui souhaitent que l’Etat organise le développement de l’économie nationale.
Je ne prétends pas apporter de réponses décisives au débat sur les catégories politiques mais il me paraît nécessaire de l’envisager d’une autre manière, en posant deux questions qui transcendent l’affrontement entre la droite et la gauche, la rivalité entre les partis et les différences entre les familles idéologiques : qu’en est-il aujourd’hui du rapport entre la gauche et la nation française ? N’est-il pas urgent de repenser la République selon sa véritable généalogie ?
(à suivre)
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1/ Cf. sur ce blog : « Comment réussir une révolution : 1944-2004 – https://bertrand-renouvin.fr/?p=539
2/ Cf. Serge Berstein, Léon Blum, Fayard, 2006 – et ma présentation de cet ouvrage : https://bertrand-renouvin.fr/?p=1197
3/ Cf. Marcel Gauchet, L’avènement de la démocratie, III A l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974. Gallimard NRF, 2010. https://bertrand-renouvin.fr/?p=2790 et https://bertrand-renouvin.fr/?p=2792
Je pense au contraire qu’il y a bien du signifié sous le vocable de « Libéraux orléanistes du XXI siècle ». Ce courant est en train de se rassembler à l’UMP, à l’UDI et au centre droit. Cette sensibilité est toujours vivante et ne se résume pas au libéralisme économique. Ce dernier se fonde sur une philosophie de l’homme et de la liberté. Celle-ci se réfère à la déclaration des droits de 89, et aux grandes figures du libéralisme français(de Stael, Constant, Guizot, …) enrichi des traditions anglo-saxonne et autrichienne. Ce courant défend un vrai régime parlementaire qui ne pourra exister en France tant que le Chef de l’Etat sera élu au suffrage universel. Ce sont les seuls véritables partisans du « régime anglais ».
Quelle folie que de croire que quelques individus soi-disant experts puissent du sommet de l’Etat faire le bien du peuple alors que le marché est un plébiscite quotidien auquel chacun participe.
Si Julliard dénombre 4 gauches, moi je pense au fond que la gauche n’existe pas. La gauche ce sont des gens de droite qui défendent des « idées chrétiennes devenues folles ». Plus elles sont folles, et plus il sont dirigistes, intolérants, sectaires, ennemis de la liberté.
Ainsi en France, une partie de la droite s’appelle « la gauche ». Elle est composée de gens qui défendent des positions de pouvoir au détriment du fonctionnement optimal de la société.
Hollande n’aime pas les riches. Les SA non plus n’aimaient pas les riches.