Une gouvernance oligarchique faible et discréditée peut-elle garder le contrôle, face à une conjonction de crises externes et internes ? C’est d’autant plus improbable que la société française, meurtrie par quarante années de néolibéralisme, est travaillée par de puissants mouvements de révolte. 

 Prenons une fois de plus le contrepied des experts de plateaux télévisés, qui se lamentent sur les conséquences et invoquent des fatalités sans jamais remettre en cause le cadre dogmatique dans lequel nous sommes enfermés.

Dogmatique du libre-échange, qui place l’Union européenne dans l’étau formé par les protectionnismes américain et chinois.

Dogmatique de la Banque centrale européenne, qui maintient des taux d’intérêt trop élevés – le double de l’inflation – selon une logique financière qui pénalise lourdement l’activité économique.

Dogmatique austéritaire, démentie par les expériences passées, qui va lourdement peser sur le peu de croissance qui nous reste.

Dogmatique du Marché conduisant la Commission à préconiser encore et toujours la “concurrence libre et non faussée”. C’est avec cette formule magique qu’on a fabriqué un marché de l’électricité aberrant qui engendre des prix insensés et qu’on démantèle le fret SNCF.

Additionner la restriction monétaire et l’austérité budgétaire tout en poussant à une concurrence faussée par de multiples facteurs (subventions chinoises et américaines, différences de normes…), c’est à coup sûr multiplier les chocs qui viennent frapper des sociétés – la nôtre, celle de nos voisins – ébranlées par quarante ans de néolibéralisme. Bas salaires, précarité, pauvreté endémique, désespérance paysanne, crise de la santé publique : c’est à partir de ces “données” bien connues qu’on va demander aux classes moyennes et populaires de serrer les dents et les ceintures en vue d’un avenir radieux de compétitivité et d’attractivité !

Le budget dont on débat actuellement est censé concrétiser l’effort collectif mais les intentions  austéritaires ne tiendront pas longtemps devant deux impératifs : soutenir les entreprises pour compenser les effets de la concurrence et de l’euro ; fournir des compléments de salaire à la population qui ne peut vivre de son seul travail.  Pour masquer cette logique inhérente au néolibéralisme, la gouvernance Barnier a lancé des ballons d’essai qui ont provoqué de vifs débats médiatiques et des mouvements de colère chez les citoyens concernés. Suppression des catégories A, B, C, dans la fonction publique ! Retard de six mois dans le relèvement des retraites ! Suppression d’un jour férié ! Trois jours de carence au lieu d’un pour les fonctionnaires ! Devant les protestations, la gouvernance s’est piteusement rétractée. On ne touchera pas au statut des fonctionnaires. On va relever les retraites, mais plus ou moins, c’est pas clair. Le 11 Novembre sera respecté…

Avant même le déclenchement de la confrontation sociale, Michel Barnier montre sa faiblesse dans de modestes escarmouches et laisse présager de nouvelles reculades, tout en lançant de nouveaux ballons d’essai – par exemple le gel du point d’indice dans la fonction publique et le non versement de la prime de garantie du pouvoir d’achat. Tiendra ? Tiendra pas ? Dans l’expectative, des mouvements de grève se préparent dans la fonction publique. Ils inquiètent moins la gouvernance Barnier que les trois explosions de colère qui vont éclater avant la fin de l’année. Trois explosions qui sont provoquées par les choix aberrants de l’Union européenne et qui vont obliger la gouvernance à se battre sur trois fronts.

Front agricole. Aux problèmes non réglés depuis la révolte paysanne de l’hiver dernier, s’ajoutent les négociations sur le Mercosur qui, si elles aboutissent, avantageront l’industrie allemande et viendront aggraver les difficultés de l’agriculture française (voir page 6).

Front industriel. La crise du secteur automobile européen est en train de s’amplifier, en raison de l’offensive chinoise qui frappe le ventre mou libre-échangiste. Elle affecte principalement les grandes firmes allemandes, à commencer par Volkswagen qui annonce des fermetures d’usines, et les équipementiers européens, dont Bosch qui est au premier rang mondial. Elle a déjà des conséquences en France : Michelin a annoncé la fermeture de deux usines du groupe, l’une à Cholet et l’autre à Vannes ; Valeo va prochainement fermer trois usines, dans les Yvelines, l’Isère et la Sarthe. Nous aurons aussi à subir les conséquences de la crise générale du “modèle allemand”, tant vanté par nos élites. Comme la plupart des pays de la zone euro, la France est en outre confrontée à une forte augmentation des défaillances d’entreprise : + 18% sur les six premiers mois de l’année par rapport au premier semestre 2023. Plus de 100 000 emplois sont menacés.

Front ferroviaire. La Commission européenne exige que Fret SNCF soit divisé en deux sociétés – Hexafret pour le transport de marchandises et Technis pour la maintenance des trains. Les syndicats, qui dénoncent une liquidation méthodique de Fret SNCF, ont lancé des appels à la grève générale du 20 au 22 novembre puis à la grève illimitée à partir du 11 décembre.

Jusqu’à ces derniers mois, les gouvernances successives avaient été confrontées à des mouvements sociaux décalés dans le temps – Gilets jaunes, campagne syndicale contre la réforme des retraites, révolte paysanne. Faible et discrédité, Michel Barnier va affronter des mouvements simultanés qui, cette fois, peuvent converger.

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Article publié dans le numéro 1288 de « Royaliste » – 16 novembre 2024

 

 

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