Dans son communiqué publié le 6 avril à la sortie de Matignon, l’intersyndicale souligne la gravité de la crise démocratique et sociale. Ce juste constat est partagé par une large majorité de citoyens qui font depuis des années ou des décennies la douloureuse expérience de cette crise multiforme.

Nous l’avons souvent dit : le souci de l’intérêt général, qui était plus ou moins bien exprimé par des gouvernements disposant de la pleine souveraineté, a disparu lorsque les élites acquises au néolibéralisme ont imposé une gouvernance oligarchique. Cette caste s’est dégagée de ses responsabilités commerciales, monétaires et militaires pour se consacrer à un unique objectif : la défense obstinée du système d’accumulation des richesses au profit d’une minorité de prédateurs.

La Communication, renommée pédagogie, devait conduire un peuple réputé abruti à une acceptation résignée de l’ordre injuste des choses. Puis le voile s’est progressivement déchiré et cette oligarchie se trouve aujourd’hui fourvoyée dans trois impasses :

  • Mandataire de la classe dominante, Emmanuel Macron a bénéficié comme ses prédécesseurs d’un vote de rejet qui, l’an dernier, n’a pas eu son prolongement habituel aux législatives. La fin du fait majoritaire, qui n’est pas plus consubstantiel à la République gaullienne qu’à la gouvernance quinquennale, oblige le Premier ministre à tenter un élargissement de la majorité parlementaire qui vise seulement l’aile droite de l’oligarchie. Rien qui puisse calmer la France en colère.
  • Conçue pour rassurer les marchés financiers et pour obéir à la Commission européenne, la retraite à 64 ans a entraîné la classe dominante dans une bataille frontale avec les classes moyennes et populaires… qui démontre à la Commission et aux marchés financiers que la gouvernance parisienne sera incapable de “réformer” dans les années qui viennent ! Cette obsession des “marchés” est d’ailleurs insensée puisque ce sont les Banques centrales qui, depuis 2008, contrôlent les taux d’intérêt.
  • En sursis, Elisabeth Borne tente de passer à autre chose en proposant aux syndicats des discussions sur le travail. Il est possible que ces discussions aient lieu un jour ou l’autre et que des aménagements soient obtenus. Mais rien de décisif ne peut être obtenu des gestionnaires d’un système qui engendre la précarité du travail et la surexploitation des travailleurs. Tout débat de fond sur le travail provoquera un nouveau choc frontal.

La guerre sociale connaît ses moments de détente. Le Conseil constitutionnel offre la possibilité d’un retour au calme dans les rues si ses neuf membres s’en tiennent à un strict examen juridique du texte qui leur est soumis. Or le passage en force du gouvernement est manifeste, par détournement de procédure et atteinte délibérée à la clarté et à la sincérité des débats parlementaires. Le vote bloqué au Sénat et l’absence de vote sur le projet de loi en première et en deuxième lecture à l’Assemblée nationale constituent une négation de la démocratie parlementaire qui devrait entraîner la censure totale du texte.

Tel ne sera pas le cas, si l’on prête attention aux messages en provenance de Matignon et de la rue de Montpensier, tels que la presse les relaie. Le Conseil constitutionnel, nous dit-on, n’examine pas seulement la conformité de la loi à la Constitution ; il tient compte des facteurs politiques et ne voudra pas infliger au président de la République un désaveu retentissant. En revanche, il pourrait y avoir une censure partielle qui épargnerait le report à 64 ans…

Si ces messages deviennent des décisions le 14 avril, celles-ci provoqueront la fureur. Parce que c’est un texte anticonstitutionnel qui sera promulgué. Parce que la censure partielle entraînera l’application d’un texte durci.

Pour détourner la fureur, le Conseil constitutionnel peut autoriser la mise en œuvre d’un Référendum d’initiative partagée (RIP) qui permettrait l’intervention, jalonnée d’obstacles, du peuple souverain. Le rejet de la demande déposée par 185 parlementaires donnerait à la crise démocratique une ampleur inédite, génératrice de violences de tous ordres et d’un discrédit aggravé des institutions. Soudain placé au centre du conflit, le Conseil constitutionnel perdrait la réputation de sagesse qu’il s’est fabriquée dans l’inattention générale pour apparaître tel qu’il est : l’un des cénacles de l’oligarchie, où siègent des retraités en osmose avec l’ordre établi, attentifs aux intérêts des puissants au point d’ignorer les principes inscrits dans le Préambule de 1946.

La macronie parie malgré tout sur l’épuisement progressif de la révolte. Elle ne voit pas que l’incendie allumé par la retraite à 64 ans trouve de nouveaux aliments dans les atteintes réitérées aux principes de la démocratie et, chaque jour, dans les effets d’une inflation que la gouvernance n’a ni la volonté ni les moyens de maîtriser ou de compenser.

Face à une colère qui risque de se transformer en fureur, Emmanuel Macron, qui ne mesure pas la détestation dont il fait l’objet, multiplie les provocations alors qu’il est en position de faiblesse. Il se croit inexpugnable alors qu’il n’est, pour son camp, qu’un pion interchangeable.

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Editorial du numéro 1254 de « Royaliste » – 10 avril 2023

 

 

 

 

 

 

 

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1 Commentaire

  1. Catoneo

    Objection mineure, votre Honneur. Si les banques centrales fixent les taux de pension, elle n’absorbent pas tous les bons souverains émis dans leur zone devise. Les opérateurs de marché qui en achètent regardent les notes des agences de notation (Moody’s, Standard & Poor’s et Ficht R.) pour accepter ou refuser d’y souscrire jusqu’à ce que l’émetteur ajuste son offre de rendement. Avec le triple déficit (B, C, S) et l’impossibilité à réformer, la France n’est plus le pays de cocagne des preneurs de bons. Combien nous coûtera une hausse de 1% du service de la dette ?

    Qui le sait mieux que M. Villeroy de Galhau :
    « Chaque hausse de 1% des taux entraînera au bout de 10 ans une augmentation de la charge annuelle d’intérêt de 1 pt de PIB, et une augmentation de la dette de 5½ pt de PIB, par rapport à une situation sans hausse de taux. Chaque 1% de hausse des taux d’intérêt représente donc à terme un coût annuel supplémentaire de près de 40 Md€, soit presque le budget actuel de la Défense (conférence Banque de France 10 mai 2022).

    Alors ne boutons pas les « marchés » hors de l’épure ; ils nous coûtent très cher.