La très grande inertie de l’écosystème mondial présente deux effets. Le premier c’est que nous avons tout le temps de voir les directions que prend le climat, d’en analyser à froid (sic) les causes de changement et – potentiellement – de les corriger. La deuxième, c’est que l’on se dit qu’on a le temps, « qu’il n’y a pas le feu » (re-sic) et qu’on peut toujours attendre encore un peu avant d’agir, étant donnée la lenteur des changements écologiques, face à la rapidité des évolutions politiques. Les priorités, pendant des décennies, sont dont toujours allées au court terme, ce qui veut dire clairement : ne nous préoccupons pas du long terme, « on verra bien plus tard ». Les avertissements sur les risques futurs sont en permanence noyés dans les soucis pour l’immédiat. Et les alertes, les « vigilances » orange, rouges ou noires, sont ignorées. Elles ont pourtant été innombrables depuis la fin du siècle dernier, et de plus en plus graves. Nous y avons participé dans la mesure de nos moyens :
« L’avenir verra de plus en plus fréquemment de grandes vagues de chaleur, de froid, des tempêtes, des inondations ou des sécheresses. L’été 2003 risque donc d’être le premier exemple de ce qui pourrait bien devenir courant dans le futur » (Royaliste n° 822, 29 septembre 2003).
Mais après avoir eu un impact « modeste » – donc négligeable – depuis plus de 40 ans, cela fait une dizaine d’années que le changement climatique a un effet sensible sur nos vies et ne peut plus être ignoré, et que les catastrophes liées au climat ne peuvent plus être considérées comme des séries de phénomènes exceptionnels et aléatoires, sans liens entre eux. Les avis de danger ont été nombreux, et pas seulement dans des revues scientifiques, puisque même Royaliste, un journal dont les objectifs éditoriaux sont pourtant très éloignés de leurs préoccupations scientifiques, s’est associé à eux en se faisant souvent lui aussi l’écho de ce danger !
Donc notre société n’a rien fait, ou plutôt n’a pas fait assez, hors de grandes mises en scène (les réunions COP, par exemple), et surtout, les groupes et les individus qui nous gouvernent (pas seulement en France) ont démontré depuis longtemps que leur inaction n’était pas le fait d’une quelconque impuissance, mais du choix délibéré de ne rien faire. Le résultat prévu est donc arrivé : canicules à répétitions, incendies de plus en plus difficiles à maîtriser, sécheresses récurrentes, etc. Par ailleurs le bouleversement s’est accompagné de déficit hydrique d’un côté et d’inondations de l’autre, fragilisant les écosystèmes de notre pays (parmi tant d’autres). Mais comme ces dernières années, les incendies avaient lieu en Australie, en Californie, en Grèce, donc au bout du monde, loin de notre coin de rue, ils n’étaient pour nous que des évènements spectaculaires à la télévision, et oubliés dès que l’écran était éteint. Cette année, c’est différent, puisque nous sommes touchés à notre tour, et que des grandes villes comme Bordeaux sont aux premières loges (car les incendies pourraient concerner aussi Marseille, Montpellier, Toulouse, Nîmes etc.). Alors, puisque nous nous intéressons à ces phénomènes, dans l’unique crainte qu’ils ne se présentent à notre porte, le moment est propice à un peu d’analyse et de réflexion.
Il faut rappeler avec force qu’il existe un lien évident entre incendies et canicule. C’est parce que nous sommes soumis à un épisode caniculaire à répétition que les incendies deviennent difficiles à maîtriser : le déficit en eau dans la nature, qui se prolonge depuis des mois, voire des années, avec des nappes phréatiques et des cours d’eau en étiage, fragilise un écosystème déshydraté, donc incapable de résister à l’incendie. A ceci s’ajoute l’augmentation des vents chauds qui propagent les incendies, elle aussi liée au changement climatique.
Mais il y a aussi une cause proprement humaine s’ajoutant aux difficultés : la gestion des forêts et des écosystèmes. Et ceci à plusieurs niveaux.
Nous avions vu lors des grands incendies en Australie (Royaliste numéro 1182, janvier 2020) qu’un « argument inattendu est produit par certains : la gravité des feux ne serait pas due au changement climatique, mais [aux] nouvelles règles environnementales qui ont rendu l’entretien du bush impossible au nom de la biodiversité (Wikipédia) ». Nous devrions dire, plus justement, que cette gravité, certainement due au changement climatique, s’est vue augmentée par ces nouvelles règles. L’inculture écologique des « écologistes » est telle que, sous prétexte de protection de l’environnement, des décisions démagogiques absurdes peuvent en effet être prises, qui le mettent en danger. Permettez-moi de vous raconter l’histoire de la gestion des forêts dans mon petit village (350 habitants) en Bourgogne. Il possède une petite forêt communale, principalement des chênaies, qui est divisée en 25 secteurs. Chaque année, en hiver, un de ces secteurs est destiné à la coupe à l’usage des habitants. L’homme met donc en route un cycle de 25 ans : un secteur (4 % de la forêt) est exploité une année pendant que le reste (96 %) récupère de cette coupe et se reconstitue sans intervention humaine. Car il s’agit bien évidemment de bois naturels, pas de plantations. Chaque secteur n’est donc exploité qu’une fois tous les 25 ans. Lorsque son tour est venu, sa surface est alors divisée en autant de « portions » qu’il y a d’inscrits sur la liste des habitants qui en font la demande. Les agents de l’ONF visitent ce secteur au préalable et marquent les arbres interdits à la coupe, pour conserver la forêt et lui permettre de rassembler des arbres de tous les âges : 25, 50, 75, 100 ans, etc. Ceci fait, chaque habitant est libre de couper pour son usage les autres arbres dans sa portion. Il s’agit principalement de bois de chauffage, plus quelques fûts d’arbres plus âgés qui fournissent du bois de charpente et de menuiserie. Jusqu’à la fin du siècle dernier, l’usager avait obligation de nettoyer sa portion des ronces, taillis envahissants etc., lesquels étaient coupés, rassemblés en tas et brûlés sous surveillance, avec les petites branches des arbres coupés. Le bois était « nettoyé » tous les 25 ans, ce qui permettait d’une part de pouvoir circuler assez librement, d’autre part de libérer de l’espace pour la croissance naturelle des jeunes arbustes, favorisée par l’éclairage (le soleil atteignant le sol, ce qui n’était pas le cas sous le couvert forestier). L’inconvénient apparent, c’est que la forêt devient « accessible », elle a perdu cet aspect « impénétrable » qui est assimilé par beaucoup à un écosystème « sauvage ». Le biotope du secteur exploité devient aussi moins divers pendant quelques années : moins de bois mort pour les xylophages, les champignons, la faune et la flore associée, perte de buissons et de caches pour la petite faune etc. Ceci ne concerne toutefois que 4 % de la forêt, et le reste permet à la « vie sauvage » d’être préservée, au coût d’un déplacement de quelques centaines de mètres si besoin est, pour qu’elle passe d’un secteur à l’autre. On peut constater alors que la faune résidente de la forêt n’est pas moins abondante qu’auparavant, les risques principaux pour celle-ci se situant au niveau général de la pollution des sols par l’agro-industrie bien plus qu’à celui d’un biotope dont 4 % de la surface manque de branches mortes. Les avantages dépassent largement les inconvénients.
Mais il y avait cette idée que le nettoyage du bois allait contre la vie sauvage. Il fallait revenir à une nature « vierge ». C’est ce que les écologistes australiens ont voulu imposer : « sanctuariser » la forêt, la rendre impénétrable pour qu’elle soit plus proche de son état naturel. On sait quelles en ont été les conséquences : impossibilité d’y pénétrer pour les pompiers australiens, qui n’ont rien pu faire contre l’incendie. Or c’est ce que les nouvelles réglementations imposent dans mon village depuis plusieurs années : il est devenu interdit de brûler les ronces et les branchages, qui doivent être laissés sur place, en principe pour permettre un développement naturel de la forêt. Résultat : les sous-bois deviennent en effet de plus en plus difficiles d’accès, les branches mortes encombrent le sol, et les taillis (ronces, orties, épines etc.) se développent et couvrent tout le sol. Plus grave encore, il se crée un nouvel écosystème de taillis qui favorise les pestes (plantes envahissantes, maladies des arbres, ravageurs comme la pyrale du buis, etc.) et finit à terme par détruire la forêt, puisque celle-ci, dans notre pays, dépend pour beaucoup et depuis des siècles de l’intervention humaine. Bois sec, taillis inflammable, accès difficile : toutes les conditions sont réunies par ailleurs pour rendre les incendies plus violents et plus incontrôlables.
La polémique (que je n’ai pas suivi dans le détail, et dont je ne puis rien dire) sur les décisions d’un élu écologiste qui auraient abouti à favoriser les incendies, correspondrait donc à ce choix idéologique et mal compris de favoriser la vie sauvage, que l’on imagine forcément inhibée par l’intervention humaine.
C’est que l’on assimile « préservation de la nature » à « absence d’entretien ». Or c’est, au moins dans nos pays européens, tout le contraire : il y a longtemps que la nature européenne n’est plus « vierge », et que l’homme y a imprimé sa marque. Sans pour autant que la vie sauvage soit détruite. Un film récent (janvier 2022) décrit cet état de chose de la façon la plus remarquable. « Lynx », de Laurent Geslin, montre la cohabitation harmonieuse d’un monde « sauvage » où des lynx ont été réintroduits (dans la forêt jurassienne) et d’un environnement où l’homme est omniprésent. Il n’y a pas d’incompatibilité entre les deux, pourvu qu’ils soient bien compris, et l’on peut voir une séquence remarquable où les agents de l’ONF visitent la forêt pour vérifier son état de santé, en passant tout près du refuge du lynx, qui s’est parfaitement adapté à cette « forêt-jardin ». On ne peut que reprendre à son compte les réflexions du comte de Paris (Royaliste numéro 1238, juillet 2022) : « J’ai travaillé pendant plusieurs années dans la gestion forestière. La forêt est au cœur des préoccupations « environnementales » et « énergétiques». Dans son rôle de capteur de carbone, mais aussi d’énergie peu polluante lorsqu’elle est bien utilisée et renouvelable à merci lorsqu’elle est bien gérée, ce qui est le cas la plupart du temps ». Mais pas tout le temps, malheureusement : une des causes particulières aux incendies de la région bordelaise tient aussi à l’absence de gestion forestière, d’après ce que nous pouvons lire et entendre. Le rapport coût-bénéfice n’étant pas favorable, les propriétaires forestiers préfèrent laisser ces écosystèmes à l’abandon, ce qui évite des frais qu’ils sont les seuls à pouvoir engager, puisqu’il s’agit de domaines privés. Absence d’entretien qui aboutit au même résultat que la volonté idéologique de ne plus toucher à la forêt : en cas d’incendie, il n’y a plus rien à faire.
François GERLOTTO
Nous avons maintenant des preuves claires que la stupidité est un carburant