Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont pas seulement aggravé l’emprise ultralibérale sur les Français. Tous deux ont accepté que la France soumise à Bruxelles, Francfort et Berlin devienne la vassale des Etats-Unis. Ils ont montré, dans le renoncement, une redoutable cohérence.
La nostalgie de la grandeur est moquée par les beaux esprits qui confondent la grandeur et l’arrogance. Or la France est grande quand elle a un grand projet, c’est-à-dire un projet à la mesure de son histoire. Le général de Gaulle n’a rien inventé : il a repris le projet d’indépendance nationale défini par la monarchie capétienne sur un mode réaliste qu’Hadrien Desuin prend soin de préciser au début de son essai (1).
Le réalisme consiste à mener librement son jeu diplomatique en visant l’équilibre des puissances et en nouant des alliances avec des Etats, sans égards pour la nature des régimes, ni pour leurs orientations idéologiques et religieuses. François Ier s’allia avec les Ottomans et Mazarin puis Richelieu avec les princes protestants. C’est selon ce modèle que la IIIème République laïque et démocratique s’allia avec l’autocrate russe et ses cortèges de popes… Après le départ du Général, la politique étrangère de la France perdit de la vigueur et de la cohérence au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait dans les sables mouvants de la « construction européenne ».
Des possibilités de résistances demeuraient cependant, comme on le vit lorsque la France s’opposa en 2003 à la croisade bushiste. La consolidation du régime oligarchique a brisé les velléités d’indépendance. Par conviction ou par paresse, les oligarques de droite et de gauche ont adhéré à la vision américaine du monde et se sont laissés circonvenir par les néoconservateurs français – tout petit groupe très efficace qui se désigne lui-même comme « la Secte » – qui ont fourni aux maîtres du moment les ingrédients d’une idéologie à la fois humanitariste et belliqueuse. Hadrien Desuin montre avec précision comment le micro-parti atlantiste a pris le pouvoir à l’Elysée avec Jean-David Levitte, au Quai d’Orsay avec Bernard Kouchner puis Laurent Fabius assisté de quelques diplomates adhérents de la Secte, au ministère de la Défense avec le général Georgelin, dans les médias avec Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Nicole Bacharan et avec des « experts » tels que Bruno Tertrais, François Heisbourg, Thérèse Delpech… N’oublions pas non plus les ministres falots et complaisants que furent Hervé Morin et Jean-Marc Ayrault.
Nicolas Sarkozy était en accord avec lui-même lorsqu’il décida le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan : il était allé déclarer sa candidature à l’ambassade des Etats-Unis et assura Georges W. Buch qu’il voulait « faire de la France une autre Amérique ». Mais Laurent Fabius et François Hollande avaient dénoncé l’atlantisme avant de se livrer à des surenchères bushistes qui contrastaient avec les prudences d’Obama. Ils se renièrent et trahirent nos intérêts nationaux par l’effet conjugué de leur paresse intellectuelle et de leurs lâchetés.
La droite des valeurs plus ou moins identitaires et la gauche morale laissent un bilan catastrophique. Les beaux discours sur les droits de l’homme et sur la « famille occidentale », les rodomontades diplomatiques et les opérations militaires qui transformaient les soldats français en supplétifs mal équipés de l’US Army, les voyages incessants et les sommets spectaculaires ont été les étapes pitoyables de la perte du rang de la France dans le monde. L’Afghanistan ? Un fiasco prévisible : nos soldats ont été engagés et sacrifiés dans une guerre conçue et menée de manière parfaitement absurde par les Etats-Unis. La Libye ? Une aventure militaire qui a provoqué un chaos géostratégique dont les islamistes ont tiré parti. La Syrie ? Pour éliminer Assad, Hollande et Fabius ont soutenu les djihadistes avant de se retrouver exclus du jeu proche-oriental. L’Egypte ? Le gouvernement français a salué la victoire des Frères musulmans et reçu Mohammed Morsi avant de vendre au général Al Sissi les Mistral refusés à la Russie. L’Iran ? Une attitude hystérique contrastant avec le réalisme de Barak Obama. L’Ukraine ? Lors de la « révolution du Maidan », la diplomatie française s’est alignée sur les Etats-Unis, l’Allemagne et la Pologne et a cultivé une ligne antirusse par tropisme « occidental ». Les droits de l’homme et la lutte contre la propagande islamiste ? Oubliés dès lors qu’il s’agissait de conclure des affaires foireuses avec l’Arabie saoudite et le Qatar… L’Otan ? Une soumission béate qui nous a fait accepter le bouclier anti-missiles et la présence d’officiers étatsuniens dans les états-majors français. C’est seulement au Sahel que la France a maintenu grâce à son armée une politique autonome, efficace, indispensable.
Prise au piège de l’Otan et ligotée par les traités européistes, la France doit retrouver son indépendance en décidant une nouvelle rupture sur le modèle de la sécession gaullienne de 1965-1966. » Une prise de distance avec Bruxelles, siège commun de l’Union européenne et de l’Otan qui désormais se confondent, est la condition sine qua non pour que la diplomatie française renoue avec elle-même » conclut Hadrien Desuin. Il a raison !
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(1) Hadrien Desuin, La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie, Le Cerf, 2017.
Article publié dans le numéro 1128 de « Royaliste » – 2017
Je préfère Richelieu puis Mazarin, c’est plus conforme à l’ordre chronologique